J’ai revu récemment deux films, deux grand classiques du cinéma de guerre :« Battleground » (« Bastogne ») de
William Wellman, datant de 1949, et « The Battle of the Bulge »
(« La bataille des Ardennes ») de Ken Annakin, datant de 1965. Les
deux films relatent le même épisode de la Deuxième Guerre mondiale :
l’immense offensive des blindés et de l’infanterie allemande contre les forces
américaines en Belgique en décembre 1944, dernière tentative de Hitler de
renverser le cours de l’Histoire et repousser les forces américaines qui
avançaient inexorablement vers le territoire allemand.
Certaines scènes de ces films, ( auxquels tout un florilège de grands
acteurs de l’époque participait) restent dans la mémoire de tous les
cinéphiles. Commençons par la scène la plus simple. (simple, mais jubilatoire!) Celle qui a rendu célèbre à
jamais un mot , un seul : « NUTS ». (Textuellement :
« noix ». Signification réelle : « foutaises »).
Scène tirée du film « Battleground » (Bastogne) de William Wellman,
avec la participation d’acteurs tels Van Johnson, John Hodiak, Ricardo
Montalban, James Whitmore…Lorsque les troupes allemandes encerclent les forces
américaines à Bastogne, en Belgique, un courrier allemand arrive, muni de l’habituel
drapeau blanc, et remet à l’officier américain
de garde une offre du commandement
allemand : capituler pour empêcher une bataille sanglante qui détruirait
la ville. Réponse américaine : « Nuts »… Noix ??? ( Nüsse,
en allemand…) Comment interpréter cette réponse ? « Is this a
positive or a negative answer ? »-s’enquiert l’officier allemand…
Réponse cinglante de l’américain : « Nuts is strictly
negative !!! » Bastogne (et en
générale toute la bataille des Ardennes) et le mot « NUTS »
(foutaises…) resteront à jamais associés…Sauf que, dans la réalité, c’était le
général américain McAuliffe qui a prononcé le mot…
Autre scène mémorable, la fin du film, le fameux
« Sound-off », que nous entendons dans tous les films américains,en
particulièrement ceux qui
ont pour sujet
les camps d’entraînement des « marines ». Le sergent-instructeur récite les
strophes d’une sorte de « poésie orale », par lui composée, (souvent
les pires cochonneries, que les jeunes recrues, actuellement aussi bien
des hommes et des femmes, répètent avec
bonheur).
Chaque strophe se
termine par le « mythique »Sound-off . (Sound- off, one two,
sound- off, three four. Sound- off, one two three four, THREE FOUR!!!) –que
tous les soldats américains hurlent ensemble. Ça fait partie, chez eux,
de l’esprit de corps…
Mais le « Sound-off » à la fin de
« Battleground » de William Wellman est un « sound-off » à-
part dans l’histoire du cinéma de guerre. Le sergent Kinnie (James Whitmore)
ramène de Bastogne une compagnie meurtrie, décimée par les combats, qui semble
complètement démoralisée…et pourtant : peu à peu, à
chaque pas, le
« Sound-off » résonne plus fort. Encouragés par leur sergent, les
survivants de la bataille des Ardennes lèvent la tête, se redressent et répètent les paroles avec plus en plus de
courage et de fierté, de plus en plus de
conviction et de certitude : ils
vont gagner la guerre.
Deux exemples de véritable « dialogue
intertextuel » répondent à cette scène mythique du cinéma de guerre
américain. A la fin du film « The Boys in Company C » de Sydney J. Furie datant de 1978, on peut voir (et
entendre ) un « Sound-off à l’envers » : les soldats
américains démoralisés de la Guerre au Vietnam chantent, sans entrain, en
s’éloignant lentement des spectateurs.(alors que les combattants de la « bonne guerre », la guerre
dont les américains sont sortis victorieux, avancent triomphalement vers le
caméra, vers le spectateurs.) Et il s'agit ici d'un véritable clin d'oeil du réalisateur à" Bastogne" de W. Wellman: l'officier qui commande le triste "Sound -off" vietnamien n'est autre que l'acteur James Whitmore Jr, fils du comédien qui a joué le rôle du sergent Kinnie dans le film de Wellman. Un véritable dialogue intergénérationnel, un message du fils au père, des combattants de la guerre perdue aux héros de 1944...
Autre exemple:dans le film « Go Tell the Spartants »
de Ted Post, datant également de l’époque de la grande désillusion post-vietnamienne
(en français « Le Merdier », 1978), le comédien Burt Lancaster
s’écrie « Ah !!! Bastogne !!! »( Bastogne, les Ardennes,
Noël 1944 : quelle différence par rapport à notre présent honteux…)
Venons- en au film de Ken Annakin. Des pages entières de
l’internet sont consacrées aux erreurs de tournage et aux inexactitudes
historiques du scènario du film
« La bataille des Ardennes » (The Battle of the Bulge) , une
superproduction à la fois critiquée et admirée. On a eu beau d’aligner les
meilleurs acteurs (Henry Fonda, Robert Shaw, Robert Ryan, Dana Andrews, Telly
Savalas et, last but not least, l’Allemand Hans Christian Blech). On a eu beau
d’engager comme conseiller technique Meinrad von Lauchert, le véritable
commandant de la 2-ème Panzer Division durant la bataille des tanks en décembre
1944. Rien n’y fait : on ne peut pas tourner des scènes de la Bataille des
Ardennes, ces forêts belges couvertes de neige lors de l’hiver froid de
décembre 1944, dans le paysage aride de la Sierra de Guadarrama en Espagne, sans
enlever une grande partie de la crédibilité des scènes de combat !
Mais une scène reste mythique. Parfois pour de très
mauvaises raisons .C’est la scène où le colonel
SS Hessler, ( le très regretté
acteur anglais Robert Shaw) , commandant de la Panzer Division chargée à
écraser les américains, demande à voir les nouveaux commandants de ses tanks
Tiger… Et là, le choc. Il voit (et nous voyons avec horreur) un tas de gamins
retirés de leurs lycées et entrainés à la hâte pour le combat final.. .Il
s’ensuit un dialogue cynique entre Hessler qui se plaint « des gamins…que
des gamins » et le général qui affirme « Très bien ! Au moins
ils ne connaissent pas encore le goût de la défaite !!! » Les gamins
ainsi « insultés » entament alors le Panzerlied, le chant de combat
des blindés allemands, en frappant le rythme avec leurs bottes .Les deux
vétérans, le colonel Hessler et son ordonnance Conrad (rôle interprété par l’excellent acteur
allemand Hans Christian Blech, qui a véritablement combattu sur le front de
l’Est à la Deuxième Guerre mondiale), dont ni l’un ni l’autre ne croit plus à la
victoire allemande, sont fascinés, subjugués par l’enthousiasme des jeunes
recrues. Ils se joignent à leur chant martial : « Unser Sieg,
Ja, Unser Sieg !!! ». C’est
une scène d’une rare puissance, une scène dont de très nombreux spectateurs,
tout en appréciant la splendeur cinématographique, ont tout de suite compris le
danger.
Aujourd’hui, sur You Tube, nous voyons plusieurs versions de
cette scène. La première dure environ 3 minutes 50 secondes : c’est la
version correcte, qui place le Panzerlied dans le contexte du dialogue qui le
précède . Une version courte qui enlève le dialogue et laisse seulement la
chanson : une sorte de fascination malsaine s’en dégage. Et une version
totalement révoltante : celle
qui
falsifie
le propos des scénaristes et du
réalisateur Ken Annakin, qui consiste en un montage des scènes de combat de
tanks, un montage sur fond du Panzerlied, un montage tout entier fait à la
gloire de la Deuxième Division des Panzer allemands, complètement sorti du
contexte du film et du contexte historique. Car
les paroles de cette chanson, nous les entendons deux fois dans le film, les
deux fois dans des circonstances tragiques : la première fois dans la scène
dont nous parlons, la deuxième fois lorsque « les gamins » ainsi
que leur commandant, le colonel Hessler, brûlent vivants dans leurs tanks
immobilisés, à la fin du film. (voir « Hessler’s Death » sur You
Tube.) Ce n’est que dans la double perspective,
à la fois du film de Ken Annakin et de la réalité historique, à savoir
l’alignement
des vieux et des enfants
allemands pour combattre pour les dernières folies du Führer, qu’on peut
réellement comprendre la beauté et la dimension réelle de cette scène devenue
mythique.
Je dédie cet article à la mémoire de ma mère, Klàra Mohos.
Elisheva Guggenheim.