vendredi 4 janvier 2013

La bataille des Ardennes: scènes mythiques, erreurs et malentendus...


J’ai revu récemment deux films, deux grand classiques du cinéma de  guerre :« Battleground » (« Bastogne ») de William Wellman, datant de 1949, et « The Battle of the Bulge » (« La bataille des Ardennes ») de Ken Annakin, datant de 1965. Les deux films relatent le même épisode de la Deuxième Guerre mondiale : l’immense offensive des blindés et de l’infanterie allemande contre les forces américaines en Belgique en décembre 1944, dernière tentative de Hitler de renverser le cours de l’Histoire et repousser les forces américaines qui avançaient inexorablement vers le territoire allemand.

 Certaines scènes de ces  films, ( auxquels tout un florilège de grands acteurs de l’époque participait) restent dans la mémoire de tous les cinéphiles. Commençons par la scène la plus simple. (simple, mais jubilatoire!) Celle qui a rendu célèbre à jamais un mot , un seul : « NUTS ». (Textuellement : « noix ». Signification réelle : « foutaises »).  Scène tirée du film «  Battleground » (Bastogne) de William Wellman, avec la participation d’acteurs tels Van Johnson, John Hodiak, Ricardo Montalban, James Whitmore…Lorsque les troupes allemandes encerclent les forces américaines à Bastogne, en Belgique, un courrier allemand arrive, muni de l’habituel drapeau blanc, et remet à  l’officier américain de garde  une offre du commandement allemand : capituler pour empêcher une bataille sanglante qui détruirait la ville. Réponse américaine : «  Nuts »… Noix ??? ( Nüsse, en allemand…) Comment interpréter cette réponse ? « Is this a positive or a negative answer ? »-s’enquiert l’officier allemand… Réponse cinglante de l’américain : «  Nuts is strictly negative !!! » Bastogne  (et en générale toute la bataille des Ardennes) et le mot « NUTS » (foutaises…) resteront à jamais associés…Sauf que, dans la réalité, c’était le général américain McAuliffe qui a prononcé le mot…

Autre scène mémorable, la fin du film, le fameux « Sound-off », que nous entendons dans tous les films américains,en particulièrement ceux qui  ont pour sujet les camps d’entraînement des « marines ». Le sergent-instructeur récite les strophes d’une sorte de « poésie orale », par lui composée, (souvent les pires cochonneries, que les jeunes recrues, actuellement aussi bien  des hommes et des femmes, répètent avec bonheur). Chaque strophe se termine par le « mythique »Sound-off . (Sound- off, one two, sound- off, three four. Sound- off, one two three four, THREE FOUR!!!) –que tous les soldats américains hurlent ensemble. Ça fait partie, chez eux, de l’esprit de corps…

 Mais le « Sound-off » à la fin de « Battleground » de William Wellman est un « sound-off » à- part dans l’histoire du cinéma de guerre. Le sergent Kinnie (James Whitmore) ramène de Bastogne une compagnie meurtrie, décimée par les combats, qui semble complètement démoralisée…et pourtant : peu à peu, à 

chaque pas, le « Sound-off » résonne plus fort. Encouragés par leur sergent, les survivants de la bataille des Ardennes lèvent la tête, se redressent  et répètent les paroles avec plus en plus de courage et de fierté,  de plus en plus de conviction et de  certitude : ils vont gagner la guerre.

 Deux exemples de véritable « dialogue intertextuel » répondent à cette scène mythique du cinéma de guerre américain. A la fin du film « The Boys in Company C » de Sydney  J. Furie datant de 1978, on peut voir (et entendre ) un « Sound-off à l’envers » : les soldats américains démoralisés de la Guerre au Vietnam chantent, sans entrain, en s’éloignant lentement des spectateurs.(alors que les combattants  de la « bonne guerre », la guerre dont les américains sont sortis victorieux, avancent triomphalement vers le caméra, vers le spectateurs.) Et il s'agit ici d'un véritable clin d'oeil du réalisateur à" Bastogne" de W. Wellman: l'officier qui commande le triste "Sound -off" vietnamien n'est autre que l'acteur James Whitmore Jr, fils du comédien qui a joué le rôle du sergent Kinnie dans le film de Wellman. Un véritable dialogue intergénérationnel, un message du fils au père, des combattants de la guerre  perdue  aux héros  de 1944...


 Autre exemple:dans le film « Go Tell the Spartants » de Ted Post, datant également de l’époque de la grande désillusion post-vietnamienne (en français « Le Merdier », 1978), le comédien Burt Lancaster s’écrie « Ah !!! Bastogne !!! »( Bastogne, les Ardennes, Noël 1944 : quelle différence par rapport à notre présent honteux…) 

 Venons- en au film de Ken Annakin. Des pages entières de l’internet sont consacrées aux erreurs de tournage et aux inexactitudes historiques  du scènario du film « La bataille des Ardennes » (The Battle of the Bulge) , une superproduction à la fois critiquée et admirée. On a eu beau d’aligner les meilleurs acteurs (Henry Fonda, Robert Shaw, Robert Ryan, Dana Andrews, Telly Savalas et, last but not least, l’Allemand Hans Christian Blech). On a eu beau d’engager comme conseiller technique Meinrad von Lauchert, le véritable commandant de la 2-ème Panzer Division durant la bataille des tanks en décembre 1944. Rien n’y fait : on ne peut pas tourner des scènes de la Bataille des Ardennes, ces forêts belges couvertes de neige lors de l’hiver froid de décembre 1944, dans le paysage aride de la Sierra de Guadarrama en Espagne, sans enlever une grande partie de la crédibilité des scènes de combat !

 Mais une scène reste mythique. Parfois pour de très mauvaises raisons .C’est la scène où le colonel  SS Hessler,  ( le très regretté acteur anglais Robert Shaw) , commandant de la Panzer Division chargée à écraser les américains, demande à voir les nouveaux commandants de ses tanks Tiger… Et là, le choc. Il voit (et nous voyons avec horreur) un tas de gamins retirés de leurs lycées et entrainés à la hâte pour le combat final.. .Il s’ensuit un dialogue cynique entre Hessler qui se plaint « des gamins…que des gamins » et le général qui affirme « Très bien ! Au moins ils ne connaissent pas encore le goût de la défaite !!! » Les gamins ainsi « insultés » entament alors le Panzerlied, le chant de combat des blindés allemands, en frappant le rythme avec leurs bottes .Les deux vétérans, le colonel Hessler et son ordonnance Conrad  (rôle interprété par l’excellent acteur allemand Hans Christian Blech, qui a véritablement combattu sur le front de l’Est à la Deuxième Guerre mondiale),  dont ni l’un ni l’autre ne croit plus à la victoire allemande, sont fascinés, subjugués par l’enthousiasme des jeunes recrues. Ils se joignent à leur chant martial : « Unser Sieg, Ja,  Unser Sieg !!! ». C’est une scène d’une rare puissance, une scène dont de très nombreux spectateurs, tout en appréciant la splendeur cinématographique, ont tout de suite compris le danger.

Aujourd’hui, sur You Tube, nous voyons plusieurs versions de cette scène. La première dure environ 3 minutes 50 secondes : c’est la version correcte, qui place le Panzerlied dans le contexte du dialogue qui le précède . Une version courte qui enlève le dialogue et laisse seulement la chanson : une sorte de fascination malsaine s’en dégage. Et une version totalement révoltante : celle  qui falsifie  le propos des scénaristes et du réalisateur Ken Annakin, qui consiste en un montage des scènes de combat de tanks, un montage sur fond du Panzerlied, un montage tout entier fait à la gloire de la Deuxième Division des Panzer allemands, complètement sorti du contexte du film et du contexte historique. Car  les paroles de cette chanson, nous les entendons deux fois dans le film, les deux fois dans des circonstances tragiques : la première fois dans la scène dont nous parlons, la deuxième fois lorsque « les gamins » ainsi que leur commandant, le colonel Hessler, brûlent vivants dans leurs tanks immobilisés, à la fin du film. (voir « Hessler’s Death » sur You Tube.) Ce n’est que dans la double perspective,  à la fois du film de Ken Annakin et de la réalité historique, à savoir l’alignement  des vieux et des enfants allemands pour combattre pour les dernières folies du Führer, qu’on peut réellement comprendre la beauté et la dimension réelle de cette scène devenue mythique.

Je dédie cet article à la mémoire de ma mère, Klàra Mohos.

Elisheva Guggenheim.

2 commentaires:

  1. Finesse, érudition, pertinence du propos. Quel plaisir de vous lire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, c'est sympa!L'article fait partie d'une longue recherche
      sur les films de guerre. E. G-M

      Supprimer