vendredi 23 novembre 2012

Pearl Harbor.D'Oahu à Okinawa: Deuxième partie: fin de l'isolationnisme.

En 1917, les Etats Unis sont entrés dans la Première Guerre Mondiale, animés par un réel esprit de sacrifice. Il fallait aider les alliés européens à vaincre les barbares du Kaiser Wilhelm, dans une guerre qui sera vraiment la dernière et qui fera place nette pour la démocratie dans le monde . La montée des fascismes, mussolinienne et hitlerienne, la dictature de Franco et  les horreurs de la Guerre d’Espagne, les échos, il est vrai, encore faibles, de la dictature stalinienne ont créé chez les américains un profond sentiment de désillusion. C’était donc inutile de saigner dans  les tranchées de la Grande guerre, inutile de mourir dans les campagnes de France. ! Rien n’arrachera l’Europe , ce vieux continent pourri, à ses démons… Retranchons -nous donc sur notre continent, dans cette Amérique rooseveltienne où règnent la démocratie et la liberté. ! Contentons-nous d’être des américains et ne nous mêlons pas des affaires du monde ! Tel est l’état d’esprit d’une grande  partie de l’opinion publique  américaine dans les années  30’.

Ainsi le sénateur Nye du Dakota, président de la commission d’enquête du sénat américain sur l’industrie d’armement entre 1934 et 1936, trouve-t-il un écho favorable dans le public lorsqu’il appelle les marchands d’armes «  des marchands de mort », l’industrie d’armement « une affaire de sale fric » et fait tout pour bloquer les crédits démandés pour le réarmement de la Navy, la modernisation de l’armée ou la fortification des postes avancées des Etats Unis dans l’océan Pacifique (tels Guam, Wake et les Philippines.).

 Au début des années 3o, l’armée américaine est la 17-ème armée du monde avec ses 120 000 hommes. Elle est pauvrement équipèe et il n’est pas rare de voir des soldats s’exercer avec des balais en guise de fusils. Quant à la Marine américaine, faute des crédits suffisants dans les années 30’ elle n’atteindra qu’en 1944 la puissance qu’aurait pu être la sienne déjà en1934 compte tenu du poids politique et économique des Etats Unis. On le voit donc, dans les années 30’ les forces armées sont l’enfant pauvre de la nation. Lorsque des voix alarmées se lèvent au  congrès pour attirer l’attention sur la « sale guerre » que mènent les japonais en Chine ou sur la pauvreté des fortifications aux Philippines, la réponse est souvent un haussement d’épaule : »Les pauvres chinois, que voulez-vous qu’on y fasse… »Ou bien : « Les  Philippines ? en tout cas ils seront indépendants en 1946, ce n’est donc pas la peine d’y investir beaucoup… » Et lorsqu’on décrit avec effroi la menace que fait peser Hitler sur l’Europe, il se trouve toujours un irlandais spirituel, tel Thomas O’Malley du Wisconsin, qui retorque : « Pourvu que cette petite île perfide, perdue au milieu  de l’Océan Atlantique, ne nous entraîne pas à nouveau dans ses guerres. » (« Petite île perfide :,  entendez par là l’Angleterre..)

 Tandis que le célébre aviateur Charles Lindbergh mène une croisade isolationniste, le sénateur Nye traque toute influence britannique pouvant entrainer l’Amérique vers une politique interventionniste sur le continent européen. Un de ses cibles favoris : Hollywood ! Hollywood qui s’est pourtant si bien tenu jusque là…

 En effet, depuis 1934 Hollywood est sous la férule de la Comission Hays, qui contrôle la moralité des scénarios, qui élimine toute scène pouvant choquer les braves gens, notamment tout baiser qui dure plus de 30 secondes, tout image d’un homme et d’une femme, même  mariés, couchés dans le même lit, les blasphèmes, les villains mots, et  toute allusion dite « politique », - Hollywood devant rester du pure « entertainment !  A la tête de la commission officie Joseph Breen, antisémite et anticommuniste notoire, pour qui la plus vague allusion dans un scénario à l’agression de Mussolini contre l’Ethiopie,ou à la persécution raciale en Allemagne est déjà une atteinte intolérable à la neutralité qui doit caractériser le cinéma américain. Cet état d’esprit dure jusqu’à 1940 et il faudra un courage infini à un réalisateur comme Anatole Litvak ou à des acteurs comme Edward G. Robinson pour faire un film comme « Confessions d’un espion nazi », sorti en 1939, premier film hollywoodien ouvertement interventionniste, qui décrie le nazisme comme une menace directe pour la démocratie américaine.

 Cependant il serait faux de confondre isolationnisme avec pacifisme et encore moins avec sympathie pour les dictatures fascistes ! Simplement, la plupart des isolationnistes, c’est à dire la grande majorité des américains, considèrent que l’effort militaire américain doit être entièrement consacré à la défense des Etats Unis, contrairement aux interventionnistes, qui veulent défendre le pays en portant la guerre en terre étrangère, sur le théâtre des opérations de l’Europe. Et c’est là qu' interventionnistes et isolationnistes se réjoignent dans l’erreur ! Les uns veulent intervenir contre l’Allemagne, les autres veulent rester neutres vis à vis de l’Allemagne…Le Japon ? Personne n’y pense. On y prête très peu d’attention dans les années 30’. Ces petits hommes jaunes, dans leurs îles pauvres et surpeuplées, n’interressent personne, n’effrayent personne, sinon les quelques amis dévoués de la Chine…

Or c’était une très grave erreur que d’ignorer  l’évolution de la mentalité japonaise dans les années 30’, de faire abstrction de la détermination, la force, la volonté farouche de modernisation qui animait ce pays.

Il existe une différence profonde et très significative dans la manière dont les japonais et les américains voient les eaux qui les entourent. Les américains se sentent sécurisés par leurs océans. Ils attribuent à la mer une sorte de puissance protectrice intrensèque, presque magique…Par contre les japonais, en contemplant leurs cartes ont un sentiment de claustrophobie étouffante. Réduits à leurs seules îles, ils ne sont que des pauvres pêcheurs de poisson.Briser l’éteau de l’océan, marcher vers le sud, vers les riches colonies européennes du Sud-Est asiatique, là ou se trouve l’étain, le caoutchouk, le carburant si nécessaire pour leurs navires : tel est le rêve des  japonais. D’autant plus que la décennie de guerre  en Chine s’est avérée non- payante : la Chine avec ses espaces infinis et ses ressources humaines inépuisables était un morceau trop grand à avaler.

 Non que la caste militaire au pouvoir au Japon entende renoncer à ses conquêtes en Chine ! Au contraire ! Variante japonaise des fascismes européens, le mouvement Zaibatsu prône l’expansionnisme  à l’outrance pour assurer à la patrie japonaise, pauvre et surpeuplée, les matières premières nécessaires pour son industrialisation. Son but est de créer un sphère de coprospérité des peuples de l’Extrême-Orient, sphère ou les puissances coloniales Occidentales – anglaise, hollandaise, française ou américaine- n’auront strictement rien à faire. L’Orient est aux orientaux, et les japonais, fils du ciel, doivent y régner en maîtres absolus!

.En 1940 le Japon se joint aux puissances de l’Axe et en vertu d’un accord avec le gouvernement de Vichy, occupe une partie  de l’Indochine. Les cercles militaires japonais ne se satisfont plus de l’Asie du Sud-Est. Leurs yeux sont tournés vers l’Océanie.

 Les relations avec les Etats Unis s’envéniment. Le président Roosevelt n’est pas du tout disposé à considérer la Chine comme un protectorat japonais incontesté. L’Amérique impose un embargo sur la livraison des matières premières au Japon aussi longtemps que ce pays n’aura pas renoncé à toute conquête territoriale ultérieure à 1931. Pour le Japon ceci est inconcevable. Tout en continuant les négociations à Washington, l’Etat Major japonais élabore un immense plan d’attaque d’un périmètre comprenant la Birmanie, la Malaisie, le Thailand, les Philippines et l’infinie étendue de l’Océan Pacifique des Iles Caroline aux Iles Hawai.

 Dès le refus net de Roosevelt de reconnaître les conquêtes territoriales japonaises et de lever l’embargo sur les livraisons de pétrole, donc dès le 26 novembre 41, la menace de guerre est imminente. Il est donc d’ autant plus incompréhensible que les postes américains dans le Pacifique  n’aient pas été mis en en état d’alerte ! Le discours extrémement agressif du Premier ministre japonais Tojo le 30 novembre laisse peu d’illusions. La surprise d’Oahu, le choc subi par les américains ne s’explique donc pas simplement par l’ignorance complète des intentions japonaises ! Même les commandants de la base navale de Pearl Harbor s’attendaient à une attaque japonaise quelque part dans l’Océan Pacifique. Mais pas à Hawai. A Guam oui. Sur l’Ile de Wake  peut être. Mais pas chez eux. Pas à Pearl Harbor. Pas si loin…

 D’ailleurs les japonais  entendent se conformer aux usages internationaux  en matière d’agression…Ils entendent délivrer une déclaration de guerre en bonne et due forme au secrétaire d’Etat Hull, à 13 heures, le 7 décembre, heure de Washington.. Mais le texte reçu de Tokyo est trop long et difficile à décoder, puis Hull les fait attendre dans l’antichambre, ce qui fait que lorsque la déclaration de guerre est délivrée, la base  de Pearl Harbor brûle déjà… Hull écoute les envoyés japonais le visage cramoisi de colère et s’écrie : «  En 50 ans de service diplomatique je n’ai jamais entendu un texte aussi infâme,une telle accumulation de mensonges ! Partez, sortez menteurs infâmes ! » Les pauvres diplomates nippons sortent, blêmes et sans comprendre la raison de ce flot d’insultes. Ils n’ont pas encore été  informés de l’attaque, ils  n’y peuvent rien. Mais le mot est lâché : « coup de poignard dans le dos », « agression militaire sans avertissement alors qu’on est encore en train de négocier », « infamie »..

Pearl Harbor… Infamie… Les deux mots resteront à jamais associés.

 On  ne répétera jamais assez : Pearl Harbor était certes un succès tactique japonais très brillant mais un succès stratégique assez limité, et une erreur politique colossale ! Il est vrai qu’à court terme le dommage infligé était considérable. Mais les quatre porte-avions américains étaient tous loin de la base de Pearl Harbor le jour de l’attaque. L’aéronavale restait donc relativement intacte  et les avions japonais n’ont pas atteint les énormes stocks de carburant déposés sur  l’île d’Oahu.Ainsi ils n’ont pas infligé aux forces américains dans le Pacifique un dommage irréparable, ce qu’ils étaient parfaitement en mesure de   faire.Mais ce qui est important, c’est qu’en quelques heures, des décennies d’isolationnisme américain ont été balayées. Le lendemain de l’attaque, l’Amérique toute entère est unie derrière le président Roosevelt, déterminée, quel que soit le coût, de mettre les japonais à genoux. Et on sait que la route sera longue. Les premiers mois de la guerre ne sont qu’une suite ininterrompue de victoires japonaises. Les Iles Gilbert et l’Ile de Guam dans les Mariannes tombent le 9 décembre. Les Marines sur l’Ile de Wake tiennent deux semaines. Leur résistance éléctrifie l’Amérique. « Marines  keep Wake » - nos Marines tiennent bon – titrent les journaux américains. Wake c’est l’Alamo. Puis Wake tombe elle aussi le 23 décembre 1941.

Pour celui qui lit les journaux de cette fin 1941, le rythme des évènements est vraiment étourdissant.

Le 8 décembre le Japon déclare la guerre à l’Angleterre, au Canada et à l’Australie, et, pour faire bonne mesure, déclare à nouveau la guerre aux Etats Unis.
Le 10 les japonais coulent le Prince de Galles et le Repulse, les deux fiertés de la Marine de Guerre britannique. La Malaisie et Singapore sont maintenant tout à fait vulnérables.

 Le 11, l’Allemagne et l’Italie déclarent la guerre aux Etats Unis. Le 12 et le 13 la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie déclarent la guerre aux Etats Unis. Les japonais envahissent la Birmanie.

 Le 19 les japonais débarquent à Hong Kong, Hong Kong qui tombera 6 jours plus tard,le jour de Noél. Le 22, les japonais débarquent aux Philippines. Le martyr de Bataan commence.

1942 : le saga des victoires japonaises continue. Le 2 janvier Manille tombe. Le 10 l’Indonésie est envahie. Le 25 janvier débaquement en Nouvelle Guinée : les japonais menacent maintenant le Nord de l’Australie. Le 8 février les américains abandonnent Guadalcanal. Le 15 Singapore capitule, le 28 débarquement japonais sur l’Ile de Java.

 Le 8 mars Rangoon tombe, le 28 c’en est la fin des forces hollandaises en Indonésie. Près de 100  000 soldats hollandais sont faits  prisonniers. Puis vient la pire humiliation de l’histoire militaire des Etats Unis : la capitulation des forces américaines aux Philippines. Plus de 100  000 hommes et  femmes lèvent les mains en signe de réddition. Néanmoins c’est cette défaite, plus que les autres, qui deviendra plus tard le symbole même de la victoire...


Elisheva Guggenheim-Mohosh.
Prochain article de la série Pearl Harbor: des films célébrent la défaite.

2 commentaires:

  1. La description de la difference entre les Japonais et les Americains par rapport a la mer qui les entoure est tres interessante. Noemie

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  2. Certains aspects de ce qui est décrit dans cet article sont devenus d'une actualité brûlante...

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