samedi 27 juillet 2013

No pasaràn! Deuxième partie: Espagne, 1937.



Nous avons quitté nos militants antifascistes anglais le 4 octobre 1936, après la fameuse  Bataille de Cable Street dans l’East End de Londres. (Voir notre article du 26 juillet 2013). Une partie de ces militants est immédiatement partie vers la France et, de là, vers l’Espagne, pour s’engager aux côtés des Républicains espagnols, en tant que volontaires, membres des fameuses  Brigades Internationales. Ils ont tous été prêts de donner leur vie pour la lutte contre les forces fascistes du Général Franco. Et ils ont souvent perdu leur vie à la Guerre Civile Espagnole. Mais pas toujours de la manière dont ils pensaient la perdre.  Pas sur les Champs d’Honneur. Pas au combat. C’est ce que nous apprennent deux auteurs gallois, deux auteurs de best-sellers, Ken Follett, que nous connaissons tous pour ses thrillers et ses romans historiques et Rosie Thomas, connue par des millions de lectrices qui aiment la littérature d’aventures romantiques.

Lloyd Williams, le plus attachant  des jeunes héros du deuxième tome de la Trilogie du siècle de Ken Follett (L’Hiver du Monde, paru en 2012) est d’origine galloise. Il est le fils d’Ethel Leckwith-Williams, députée travailliste au Parlement Britannique, beau-fils de Bernie Leckwith, militant syndicaliste juif à Londres et, en réalité, fils illégitime du très conservateur Comte Fitzherbert . Déjà en 1933, lors d’une visite avec sa mère chez des amis berlinois, il est témoin de la terreur nazie en  Allemagne, terreur qui suit les élections dont Hitler sort vainqueur.

Lorsqu’il quitte ses études à l’Unuversité de Cambridge, pour partir avec des jeunes mineurs gallois, dont son cousin de 16 ans, Dave Williams et  un autre adolescent, Lenny Griffiths, pour rejoindre les rangs de la Quinzième Brigade Internationale en Espagne, il est encore plein d’déalisme. Dix mois après son arrivée, lors de la bataille de Saragosse, il a déjà perdu une grande partie de ses illusions.Il n’y a pas d’unité de vue chez les Républicains. Il n’y a pas d’unité de la Gauche combattante: déjà, lors de la bataille de Barcelone, les anarchistes et les communistes se sont entretués dans les rues. Et les commissaires moscovites, les agents des services secrets russes (le NKVD) ont totalement infiltré les Brigades Internationales. Même les communistes venant des pays occidentaux ont peur d’eux. Les officier soviétiques ne supportent aucune manifestation de liberté d’opinion, aucune discussion . La réflexion, l’expression de ses idées n’est  pas de mise au pays du Camarade Staline, donc, pourquoi serait-elle de mise chez les volontaires Américains, Anglais, Allemands-anti-nazis des Brigades Internationales ?  volontaires souvent traités par les commissaires soviétiques de "trotskyst" ou  d'anarchistes ,d'insubordonnés ou, carrément, de traitres!)

 Le 24 août 1937 Lloyd,  Dave, Lenny, mais aussi un jeune professeur d’espagnol à l’Université Columbia de New York, Joe Eli, et un jeune  ouvrier éléctricien noir de Chicago, Jasper Johnson, prennent part à l’attaque d’un village tenu par les forces franquistes au nord de Saragosse .Lloyd n’est pas d’accord avec  les ordres de l’officier soviétique parce qu’il trouve que cette attaque est stratégiquement injustifiable et entraînera des pertes humaines inutiles. Le Colonel Bobrov est intraitable : ses ordres viennent de Moscou. La bataille est meurtrière. Pire : elle est suicidaire. Les franquistes ont une puissance de feu illimitée, les volontaires antifascistes sont à court de munitions. Lloyd est blessé, Jasper Johnson tué, la  rue est jonchée de cadavres des volontaires internationaux et des Républicains espagnols. Il n’y a plus de munitions, les survivants doivent revenir vers la base pour chercher des balles pour leurs fusils. 5 survivants sur 36 hommes de la compagnie, dont deux blessés…

 Et là, c’est l’horreur. Bobrov aboie : «  Qui vous a permis de reculer ? Pourquoi n’avez-vous pas combattu jusqu’au dernier homme ? Ceux qui sont blessés, mettez-vous de côté. » Loyd
Williams et Lenny Griffiths, ne soupçonnant pas ce qui va suivre, sortent du rang. Les trois autres, Dave Williams, mineur gallois de 16 ans, Mugsy, un autre jeune mineur et Joe Eli, professeur d’Université à New York sont abattus à bout portant par Bobrov. Comme des traîtres. Abattus par un officier soviétique qui n’a jamais combattu et qui, par son incompétence, a mené toute une compagnie de volontaires à la mort… (et qui, plus tard, et pour la joie sauvage des lecteurs, sera battu à mort par des femmes moscovites, lorsqu’il essayera fuir Moscou, encerclée par les troupes allemandes…)  C’est ainsi que se termine l’engagement idéaliste de Lloyd Williams. Dans la douleur et la désillusion totale.

 Nick Penry, syndicaliste gallois et héros du roman « Amy , pour les amis » (The White Dove) de Rosie Thomas, passe par une expérience très similaire, avec des conséquences encore plus tragiques.  Après la Bataille de Cable Street à Londres, il s’engage, lui aussi, comme volontaire dans les Brigades Internationales en Espagne. Il est témoin de la souffrance et la mort de ses camarades et il perd un bras. Mais ce n’est pas cette mutilation physique qui le meurtrit le plus. Un officier communiste – cette fois-ci un « gentleman » anglais – l’arrête pour désobéissance,( comprenez par-là une « déviation » de la conception moscovite de la Guerre Civile espagnole…) Et, en tant que prisonnier, Nick est obligé de faire partie d’un peloton d’exécution. Il est obligé de tirer sur d’autres volontaires antifascistes,  des jeunes allemands accusés de désertion.

Nick Penry quittera le Parti Communiste et deviendra, plus tard, député Travailliste au Parlement Britannique (tout comme Lloyd Williams). Mais si Lloyd retrouvera la vitalité et le bonheur, Nick Penry, héros du livre de Rosie Thomas , aura la vie brisée.

Beaucoup d’historiens ont écrit sur la mainmise communiste sur la Gauche combattante dans la Guerre Civile espagnole.  Mais ce sont ces deux romans populaires qui ont révélé au grand public les terribles exactions des commissaires politiques de Moscou .Leur lecture est très recommandée, ne serait-ce que pour  cette raison.

 Pour rappel : «  L’Hiver du Monde » (Winter of the World) de Ken Follett, est paru chez Robert Laffont 2012 et chez Dutton, USA, 2012. « Amy, pour les amis » de Rosie Thomas (The White Dove), est paru chezJ’ai Lu, 1991, et en anglais  chez  William Collins and Sons, 1986 et  Arrow Books, 2004. Bonne lecture!

Elisheva Guggenheim-Mohosh.

vendredi 26 juillet 2013

No pasaràn! Première partie: Cable Street, 1936, Londres



Deux auteurs d’origine galloise, habitant Londres. Deux auteurs de bestsellers. Le premier, vous le connaissez  certainement : il s’agit de Ken Follett. Ses thrillers et ses romans historiques ont fait le tour du monde en cent millions d’exemplaires. (voir nos articles du 5 novembre 2012 et du 5 mars 2013.) La seconde est Rosie Thomas, essentiellement lue par les femmes qui aiment la littérature romantique, la montagne et les expéditions exotiques, par exemple les séjours amoureux dans une station de recherche bulgare dans  l’Antarctique ou les passions déclenchées lors d’une escalade mouvementée de l’Everest…

Et la lutte antifasciste dans tout cela ?

Aussi bien Ken Follett que Rosie Thomas consacrent des pages mémorables à la journée  du 4 octobre 1936 dans les quartiers pauvres dans l’East End de Londres : la journée des barricades, la bataille sanglante de Cable Street  entre toutes le mouvances anti-fascistes et anti-racistes des quartiers pauvres et la police londonienne. Cette police qui s’est mise du côté des fascistes anglais, aux ordres de Sir Oswald Mosley…Ken Follett décrit cette journée, dans le deuxième tome de sa fameuse Trilogie du Siècle, «  L’Hiver du Monde », sorti en 2012. Rosie Thomas raconte les mêmes évènements dans « Amy, pour les amis » (« The White Dove »), paru en anglais déjà en 1986, sorti en France, chez J’ai Lu en 1991.De toute évidence, les deux auteurs s’inspirent des mêmes sources historiques et décrivent les évènements , ainsi que leur arrière-plan historique, sensiblement dans les mêmes termes. Leurs personnages (Le très sympathique étudiant Lloyd Williams chez Ken Follett, le ténébreux syndicaliste Gallois Nick Penry chez Rosy Thomas) obéissent aux mêmes motivations politiques et sont mus par les mêmes sentiments : enthousiasme, révolte, colère, détermination. (Et, par conséquent, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article, ces personnages seront mus par les mêmes sentiments d’amertume, de désillusion et d’abattement quelques mois plus tard, lorsqu’ils combattront  dans les Brigades Internationales, du côté Républicain, à la Guerre Civile espagnole…)

En 1936 il y avait en Angleterre 333 000 Juifs – écrit Ken Follett, en citant le Daily Worker, organe du Parti communiste anglais. La moitié de ces Juifs, originaires des pays de l’Est, dont ils ont fui les persécutions et les pogroms à la fin du 19° et au début du 20° siècle, habitait dans les quartiers  pauvres de l’Est de Londres. Et c’est justement le quartier juif de Stepney que Sir Oswald Mosley, chef du British Union of Fascists et grand admirateur d’Adolf Hitler a choisi pour faire une démonstration de force. Il a réuni ses troupes à côté de la Tour de Londres et avait l’intention de les faire défiler à travers les « quartiers enjuivés ». La route la plus prévisible passait par Cable Street. Le Daily Worker appelait toutes les forces antifascistes à constituer un véritable « mur humain », fait de dizaines de milliers d’habitants de l’East End, toutes religions et toutes appartenances partisanes confondues, pour barrer la route aux hommes de Mosley.(Les deux auteurs notent que le Parti travailliste, le Labour, ou du moins sa branche principale, n'a pas donné  son accord pour cette manifestation anti-fasciste…)

La confrontation  avec les «  Chemises Noires » de Mosley semblait inévtable ce 4 octobre 1936. Une confrontation qui n’a jamais eu lieu. Ou, du moins, pas de la manière dont tout le monde l’attendait.

 Pourtant, les deux groupes humaines, les hommes de Oswald Mosley et la foule bigarrée, faite de dockers londoniens et de mineurs gallois, de syndicalistes et de vétérans Juifs de la Grande Guerre, d’hommes et de femmes habitants de l’East End, se tient prête  au combat. Le slogan des Républicains espagnols « Ils ne passeront pas ! » (They Shall Not Pass ! No pasaràn !) couvre les murs des immeubles des quartiers  populaires, des drapeaux rouges ornent certaines fenêtres.  Au moins cent-mille antifascistes attendent les « Chemises Noires ».  Mais il n’y aura pas d’affrontement  avec l’Union des Fascistes Britanniques de Mosley.  Rosie Thomas, et Ken Follett mentionnent tous les deux une entretien entre Sir Oswald Mosley et Sir Philip Game, Chef de la Police. A la suite de cette entretien les hommes de Mosley se mettent en route, mais pas vers l’East End. Ils marchent vers les quartiers aisés de Londres.

 Mais cette nouvelle n’arrive pas à temps vers la foule surchauffée et des violences éclatent : la Police Montée charge avec une brutalité inouïe, écrasant la foule sous les pattes de leurs grands chevaux, matraquant hommes et femmes. Certains policiers font (selon Ken Follett) le salut hitlérien et , sans tenir compte de l’origine des gens, toutes les femmes sont traitées de « putes juives » et tous les hommes de « sales youpins ».Les gens ont le sentiment que la police anglaise est aux ordres de L'Union des Fascistes Britanniques. Mais ils ne se laissent pas faire. La foule érige des barricades faites de poubelles, de vieux meubles  jetés par les fenêtres. Chaque coin de rue est tenu par les habitants de East End et lorsque la Police Montée se retire, la foule en liesse a le sentiment d’avoir vécu, enfin, un grand tournant. «  Nous avons battu les fascistes anglais à Cable Street » - jubile un jeune mineur Gallois - « Maintenant nous allons battre les fascistes en Espagne !!! ».

Pauvres idéalistes…

 (Prochain article : No pasaràn ! Deuxième partie : Espagne, 1937)

Pour rappel: Winter of the World de Ken Follett a paru en anglais chez Dutton (Penguin
 Group USA) et en français chez Robert Laffont, respectivement en septembre et en novembre 2012.The White Dove (Amy, pour les amis) de Rosie Thomas a paru en anglais chez
William Collins Sons en 1986,puis chez Arrow Books en 2004, et en français
 chez J'ai Lu en 1991.

Elisheva Guggenheim-Mohosh.

vendredi 18 janvier 2013

"Le méchant japonais": stéréotypes d'avant Hiroshima.Troisième partie.



 (voir nos articles du 15 et 16 janvier)

 Dans nos deux précédents articles nous avons vu les raisons historiques et culturelles, voire géographiques (localisation des champs de bataille) de la formation des stéréotypes négatifs( et très blessants !) de l’adversaire japonais dans les films de guerre américains entre 1941 et 1945.

 Aujourd’hui j’aimerais vous donner quelques exemples terrifiants des discours tenus dans certains de ces films. Discours qui, aujourd’hui, 67 ans après les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki, nous donnent encore froid dans le dos.

 Nous avons déjà parlé d’Airforce, (1943) le chef d’œuvre de Howard Hawks, dans lequel on entend le pilote américain qui vient d’abattre un avion japonais et voit le pilote ennemi brûler vif , s’écrier : « Et un japonais rôti, un ! » (« One fried jap down… ») Encore plus choquant est l’échange entre deux soldats américains dans « Guadalcanal Diary » de Lewis Seiler (1943).Un des soldats interroge son camarade : que ressent-on en tirant sur des êtres humains ? La réponse : « Oh, tu sais, le choix est simple. Tuer ou être tué, et, de toute façon, les japs ne sont pas des êtres humains »…  (« besides, it ain’t people… »).

 « The  Purple Heart » (Dans les griffes de Satan) de Lewis Milestone (1944) raconte le calvaire de deux équipages de bombardiers capturés, jugés et exécutés par les japonais. Le discours final de l’aviateur américain joué par Dana Andrews constitue un des grands moments de la propagande de guerre américaine. Il préfigure – inconsciemment, peut-être –Hiroshima et Nagasaki, mais aussi les terribles bombardements stratégiques conventionnels sur les villes japonaises en 1945.  Dana Andrews crie à la face de ses juges « Il est vrai que nous autres américains ne savons pas grand-chose sur vous, Japonais, mais vous, vous ne savez rien sur nous. Vous pouvez nous tuer tous, mais si vous pensez  que ceci dissuadera l’Amérique de vous envoyer d’autres bombes, vous-vous trompez, oh, et comment ! Nous noircirons vous cieux et nous brûlerons vos villes, nous les réduirons en cendres et NOUS VOUS METTRONS A GENOUX ET VOUS ALLEZ NOUS SUPPLIER D’ARRETER ! C’est votre guerre ! Vous l’avez commencé ! Vous l’avez voulu ! Et elle ne se terminera pas avant que votre sale petit empire ne soit effacé de la surface de la terre ! »

 Ce discours terrifiant, dans un film sorti en 1944  annonce déjà la volonté américaine d’obtenir une capitulation japonaise sans conditions, une CAPITULATION A GENOUX !

 Quant au discours suivant, tiré d’un des plus grands classiques du cinéma de guerre, « Aventures en Birmanie » (Objective, Burma !) de Raoul Walsh, sorti en 1945, c’est un monument de haine et de colère tout à fait caractéristique de l’état d’esprit américain à la fin de la guerre.

 Le film a toujours été objet de scandale, parce que la star, Errol Flynn, n’a jamais fait son service militaire et que le scénario présentait les Américains comme les conquérants de la Birmanie, alors que ce rôle revenait aux Britanniques, nullement mentionnés dans le film..(le film fut longtemps interdit de projection en Angleterre.) Une des scènes mémorables du film est le discours halluciné du vieux correspondant  de guerre devant les corps des soldats américains mutilés : « En trente ans de journalisme je croyais avoir tout vu, je pensais que je savais tout de ce que les hommes pouvaient faire les uns aux autres. Mais ceci est différent… Cette chose a été commise par des gens qui se prétendent civilisés…Civilisés ! Ce ne sont que des idiots dégénérés, des  êtres dénués de sens moral. PETITS SAUVAGES PUANTS ! EFFACEZ-LES, je vous le dis ! Effacez-les de la surface de la terre ! EFFACEZ-LES DE LA SURFACE DE LA TERRE !! »

Voici donc pour les grands films de guerre. Cependant, le discours le plus extraordinaire se trouve dans un petit film de propagande, « Face au soleil levant » (Behind the Rising Sun ) du réalisateur Edward Dmytryk, sorti en 1943. Pourtant, ce film est connu être le seul de l’époque , dans lequel les les personnages japonais sont vus de manière humaine et différenciée, puisque certains, sympathiques et courageux, résistent au militarisme fasciste de leur pays .Un de ces personnages sympathiques se suicide à la fin du film. Mais avant le hara-kiri traditionnel, il lance un appel désespéré : « DETRUISEZ-NOUS, comme nous avons détruit les autres ! DETRUISEZ-NOUS AVANT QU’ILS NE SOIT TROP TARD ! »

 Sans commentaire.

Fin de la série de trois articles consacrés aux stéréotypes antijaponais d’avant Hiroshima, articles extraits de mes émissions à RSR Espace2 et mes articles au Journal de Genève. Voir aussi les quatre articles de la série « Pearl Harbor, d’Oahu à Okinawa », publiés fin décembre 2012.

Elisheva Guggenheim-Mohosh

jeudi 17 janvier 2013

"Le méchant japonais": stéréotypes d'avant Hiroshima. Deuxième partie.


(voir notre article du 15 janvier)

 
Nous avons vu dans notre article précédent que l'industrie cinématographique américaine,  dans ses films tournés entre décembre 1941 et l’été 1945, est incapable de traiter le peuple japonais avec le même respect qu’elle réserve aux ennemis de race blanche. (les Italiens et les Allemands). Mais si les américains souffrent du «  syndrome du péril jaune », du moins s’agit-il d’un péril jaune nuancé…Les Japonais sont tous affreux. Les Coréens, peuple conquis, ne sont pas inclus dans le mépris des hordes orientales. Quant aux Chinois, : « ils sont nos amis et nos alliés », et gare au scénariste hollywoodien qui oserait parler de leurs mœurs archaïques, qui ferait mention des seigneurs de guerre chinois ou qui ne traiterait pas le généralissime Tchang Kai-chek en grand démocrate !

 Mais si on a interné les Nissei (les familles américaines d’origine japonaise) dans des camps de détention (et ce malgré l’héroisme de leurs fils combattant pour l’Amérique sur le théâtre européen, par exemple dans la bataille sanglante de Monte Cassino !), s’il n’y a pas d’acteur japonais à Hollywood, qui jouera les méchants japonais dans les films de guerre et de propagande ? Eh bien, les Japonais seront joués par des acteurs américains mal maquillés, par des acteurs coréens et par des Chinois. Ce qui fera dire aux critiques de l’époque que, dans certains films, «  toute l’Armée impériale japonaise a l’air d’être évadée d’une blanchisserie chinoise, quelque part à New York… ».

 
Les stéréotypes antijaponais qui apparaissent dans tous les films américains entre 1942 et 1945 reflètent bien l’état d’esprit du public. Public pour lequel tous les Japonais sont des traîtres malins, cruels, fanatiques et arrogants.

 Deux facteurs contribuent à la formation et la généralisation de ces stéréotypes négatifs. D’une part l’immense traumatisme de l’attaque surprise sur la base navale de Pearl Harbor. D’autre part la configuration des champs de bataille en Asie et dans les Iles du Pacifique. La guerre en Europe se fait, en effet, au milieu de villes et de villages, de places, d’églises, d’édifices familiers. Aussi, l’ennemi semble-t-il familier. Les Allemands et les Italiens, avec leurs qualités et leurs défauts, apparaissent comme des êtres somme toute assez semblables aux Américains.

 
Les combats en Extrème-Orient et dans le Pacifique se déroulent, eux, au cœur de jungles moites et au milieu d’atolls isolés. L’ennemi, étrange et insondable, se confond avec le milieu inhospitalier. Dans le décors souvent somptueux des îles lointaines, toutes les normes de la civilisation occidentale semblent s’effacer devant la sauvagerie…

Achever les  blessés, torturer les prisonniers, lever les mains en signe de reddition pour ensuite dégoupiller une grenade et tuer les soldats américains naïfs et crédules...La traîtrise et la cruauté semblent tout à fait caractéristiques des fils d’un pays dont les diplomates souriants négociaient encore à Washington alors que leur bombardiers incendiaient déjà la base de Pearl Harbor…Un peuple qui a poignardé ainsi dans le dos notre chère Amérique sera toujours capable de TOUS LES CRIMES…Et, par conséquent, méritera TOUS LES CHATIMENTS!.Tel est le message des films de guerre américains entre Pearl Harbor et Hiroshima.

 Le merveilleux « Aventures en Birmanie » (Objective , Burma !) de Raoul Walsh, tourné en 1945 commence par les mots « In the japanese-infested  jungle » (dans la jungle infestée de japs ). Le chef- d’oeuvre de Howard Hawks, «  Airforce », tourné en 1942, a failli d’être interdit par la censure à cause d’un juron lâché par un aviateur. Mais on a froidement laissé passer la scène suivante : lorsqu’un pilote japonais brûle dans son avion, le pilote américain s’écrie : « One fried jap down !!! » (Et un japonais rôti, un !)…

 « Bataan », de Tay Garnett(1943) est un des nombreux films consacrés à l’épisode douloureux de la défaite américaine aux Philippines. Tout y est. Avions japonais mitraillant les colonnes de réfugiés et les ambulances de la Croix Rouge, troupes japonaises avançant inexorablement pour menacer femmes et enfants. Un petit commando d’Américains et de résistants philippins héroïques se porte volontaire pour ralentir l’avance de l’ennemi. Cet ennemi nous est montré uniquement sous la forme d’ombres menaçantes et furtives, des ombres qui surgissent des marécages fumants, qui tuent les héros de coups de baïonnette DANS LE DOS, torturent et mutilent celui qui tombe entre leurs mains et encerclent le seul survivant, qui n’est autre qu’un des plus grandes stars de Hollywood : Robert Taylor. Taylor mitraille les méchants jusqu’à son dernier souffle, en leur criant : « Venez, venez sales créatures. Nous sommes ici et nous serons toujours ici.Il faudra toujours compter avec nous  !"  Et le narrateur du film de conclure avec la promesse du général Douglas McArthur, lorsqu’il a dû quitter les Philippines (en abandonnant ses troupes tombées en captivité…) : NOUS REVIENDRONS !!!

 Fin de la deuxième partie. Demain :la route vers Hiroshima.

 
Je vous suggère de revoir « Aventures en Birmanie » (Objective , Burma !) de Raoul Walsh(1945).
D’une part un monument de haine et de colère, d’autre part certainement un des films de guerre les plus parfaits (et ceci de l’avis de tous les experts) avec Full Metal Jacket. Ecoutez bien la musique originale du film, composée par Franz Waxman : elle  est remarquable.

 
Cette série d’articles est extraite de mes émissions à RSR Espace2 et mes articles au Journal de Genève.Voir aussi ma série de quatre articles, "Pearl Harbor: d'Oahu à Okinawa", publiée sur ce blog en décembre 2012.

 
Elisheva Guggenheim-Mohos

mercredi 16 janvier 2013

"Le méchant japonais": stéréotypes d'avant Hiroshima. Première partie.



Singes aux yeux d’insectes… Rats bridés… Macaques… Comment  l’industrie cinématographique américaine s’est-elle permise de traiter ainsi l’ennemi japonais dans les quatre années de la guerre du Pacifique ? Comment les scénaristes et les réalisateurs sont-ils arrivés à de tels excès ?

 Dans la décennie avant l’attaque japonaise sur Pearl Harbor les américains n’avaient qu’une seule envie : rester en dehors du conflit qui se préparait sur le Vieux Continent. « Une fois nous a amplement suffi ! Nous avons déjà assez donné en 1917 !! » disaient-ils.

 L’armée américaine dans les années 30 n’est que le dix-septième armée du monde. Le sénateur isolationniste Nye est chaleureusement applaudi lorsqu’il appelle les marchands d’armes des «  marchands de mort ».Le même sénateur Nye traque  toute velléité d’interventionnisme dans les scénarios hollywoodiens. La moindre allusion aux horreurs de la Guerre d’Espagne, aux agissements de Mussolini en Ethiopie ou aux méfaits de « Herr Hitler » en Allemagne est franchement malvenue. Hollywood se déclare neutre vis- à- vis de l’Europe pratiquement jusqu’à 1940. Quant aux japonais, on n’en parle pas. Ils n’intéressent personne et n’effraient personne.

 Avec le bombardement de la base navale de Pearl Harbor, sur l’île d’Oahu (Hawai) le 7 décembre 1941, tout change. En quelques heures, des décennies d’isolationnisme sont effacées. Le lendemain de l’attaque, toute l’Amérique, Hollywood en tête, est unie derrière le président Roosevelt, déterminé à mettre les japonais à genoux. Coûte que coûte.

 Les six premiers mois de la guerre - justement ces six premiers mois qui ne sont qu’une seule longue litanie d’humiliations et de défaites pour les Alliés –non moins que 72 films de propagande et de combat sont en chantier. Dix jours seulement après Pearl Harbor, l’OWI – Office of War Information – l’office de liaison entre Washington et Hollywood, fonctionne à pleine vapeur. Les conseillers de président Roosevelt aimeraient bien éviter les excès grotesques des films de propagande de la Première Guerre mondiale, des films dans lesquels le Kaiser Wilhelm était présenté comme un épouvantail. Ces conseillers donnent à Hollywood des instructions précises : il faut éviter à tout prix deux types de pièges. D’une part il ne faut pas présenter Hitler, Mussolini et le premier ministre japonais Tojo comme les seuls coupables. D’autre part il ne faut pas présenter les peules allemand, italien et japonais comme collectivement coupables. Non, non, insiste Washington :ceux que les films américains doivent désigner comme coupables ce sont les systèmes de gouvernement antidémocratiques. Le fascisme. Le militarisme.

 Hollywood écoute ces instructions d’une oreille distraite…C’est vrai, les héros blessés des films de guerre américains prononcent de beaux discours sur la beauté de la démocratie américaine avant de mourir. Vrai aussi : dans les films de l’époque on fait bien la distinction entre « italien » et « fasciste », entre « allemand » et « nazi ». Mais les japonais sont collectivement traités de « japs », quand ce n’est pas de « them, monkeys » (singes), de rats bridés, de sales créatures jaunes, de sous-hommes ou, carrément  pas d’êtres humains (« It ain’t people ! ». «  Guadalcanal Diary » de Lewis Seiler 1943. Voir nos prochains articles.)

 Le cinéma américain est incapable traiter le peuple japonais avec le même respect qu’il réserve à ses ennemis de race blanche. (tout comme le gouvernement américain, qui ne peut pas s’abstenir d’interner dans  des camps de détention 120 000 américains d’origine japonaise, alors qu’il ne lui viendrait pas à l’esprit d’interner leurs compatriotes d’origine allemande ou italienne…).

 Fin de la première partie. Suite demain.

Je vous propos de visionner un très beau film sur les Nissei (les américains d’origine japonaise) : « Hell to Eternity »("Saipan") de Phil Karlson, film de 1960 avec Jeffrey Hunter dans le rôle d’un jeune américain adopté par une famille japonaise et qui devient un héros et, en même temps un «  pacificateur », durant la guerre du Pacifique !

 Elisheva Guggenheim-Mohosh

vendredi 4 janvier 2013

La bataille des Ardennes: scènes mythiques, erreurs et malentendus...


J’ai revu récemment deux films, deux grand classiques du cinéma de  guerre :« Battleground » (« Bastogne ») de William Wellman, datant de 1949, et « The Battle of the Bulge » (« La bataille des Ardennes ») de Ken Annakin, datant de 1965. Les deux films relatent le même épisode de la Deuxième Guerre mondiale : l’immense offensive des blindés et de l’infanterie allemande contre les forces américaines en Belgique en décembre 1944, dernière tentative de Hitler de renverser le cours de l’Histoire et repousser les forces américaines qui avançaient inexorablement vers le territoire allemand.

 Certaines scènes de ces  films, ( auxquels tout un florilège de grands acteurs de l’époque participait) restent dans la mémoire de tous les cinéphiles. Commençons par la scène la plus simple. (simple, mais jubilatoire!) Celle qui a rendu célèbre à jamais un mot , un seul : « NUTS ». (Textuellement : « noix ». Signification réelle : « foutaises »).  Scène tirée du film «  Battleground » (Bastogne) de William Wellman, avec la participation d’acteurs tels Van Johnson, John Hodiak, Ricardo Montalban, James Whitmore…Lorsque les troupes allemandes encerclent les forces américaines à Bastogne, en Belgique, un courrier allemand arrive, muni de l’habituel drapeau blanc, et remet à  l’officier américain de garde  une offre du commandement allemand : capituler pour empêcher une bataille sanglante qui détruirait la ville. Réponse américaine : «  Nuts »… Noix ??? ( Nüsse, en allemand…) Comment interpréter cette réponse ? « Is this a positive or a negative answer ? »-s’enquiert l’officier allemand… Réponse cinglante de l’américain : «  Nuts is strictly negative !!! » Bastogne  (et en générale toute la bataille des Ardennes) et le mot « NUTS » (foutaises…) resteront à jamais associés…Sauf que, dans la réalité, c’était le général américain McAuliffe qui a prononcé le mot…

Autre scène mémorable, la fin du film, le fameux « Sound-off », que nous entendons dans tous les films américains,en particulièrement ceux qui  ont pour sujet les camps d’entraînement des « marines ». Le sergent-instructeur récite les strophes d’une sorte de « poésie orale », par lui composée, (souvent les pires cochonneries, que les jeunes recrues, actuellement aussi bien  des hommes et des femmes, répètent avec bonheur). Chaque strophe se termine par le « mythique »Sound-off . (Sound- off, one two, sound- off, three four. Sound- off, one two three four, THREE FOUR!!!) –que tous les soldats américains hurlent ensemble. Ça fait partie, chez eux, de l’esprit de corps…

 Mais le « Sound-off » à la fin de « Battleground » de William Wellman est un « sound-off » à- part dans l’histoire du cinéma de guerre. Le sergent Kinnie (James Whitmore) ramène de Bastogne une compagnie meurtrie, décimée par les combats, qui semble complètement démoralisée…et pourtant : peu à peu, à 

chaque pas, le « Sound-off » résonne plus fort. Encouragés par leur sergent, les survivants de la bataille des Ardennes lèvent la tête, se redressent  et répètent les paroles avec plus en plus de courage et de fierté,  de plus en plus de conviction et de  certitude : ils vont gagner la guerre.

 Deux exemples de véritable « dialogue intertextuel » répondent à cette scène mythique du cinéma de guerre américain. A la fin du film « The Boys in Company C » de Sydney  J. Furie datant de 1978, on peut voir (et entendre ) un « Sound-off à l’envers » : les soldats américains démoralisés de la Guerre au Vietnam chantent, sans entrain, en s’éloignant lentement des spectateurs.(alors que les combattants  de la « bonne guerre », la guerre dont les américains sont sortis victorieux, avancent triomphalement vers le caméra, vers le spectateurs.) Et il s'agit ici d'un véritable clin d'oeil du réalisateur à" Bastogne" de W. Wellman: l'officier qui commande le triste "Sound -off" vietnamien n'est autre que l'acteur James Whitmore Jr, fils du comédien qui a joué le rôle du sergent Kinnie dans le film de Wellman. Un véritable dialogue intergénérationnel, un message du fils au père, des combattants de la guerre  perdue  aux héros  de 1944...


 Autre exemple:dans le film « Go Tell the Spartants » de Ted Post, datant également de l’époque de la grande désillusion post-vietnamienne (en français « Le Merdier », 1978), le comédien Burt Lancaster s’écrie « Ah !!! Bastogne !!! »( Bastogne, les Ardennes, Noël 1944 : quelle différence par rapport à notre présent honteux…) 

 Venons- en au film de Ken Annakin. Des pages entières de l’internet sont consacrées aux erreurs de tournage et aux inexactitudes historiques  du scènario du film « La bataille des Ardennes » (The Battle of the Bulge) , une superproduction à la fois critiquée et admirée. On a eu beau d’aligner les meilleurs acteurs (Henry Fonda, Robert Shaw, Robert Ryan, Dana Andrews, Telly Savalas et, last but not least, l’Allemand Hans Christian Blech). On a eu beau d’engager comme conseiller technique Meinrad von Lauchert, le véritable commandant de la 2-ème Panzer Division durant la bataille des tanks en décembre 1944. Rien n’y fait : on ne peut pas tourner des scènes de la Bataille des Ardennes, ces forêts belges couvertes de neige lors de l’hiver froid de décembre 1944, dans le paysage aride de la Sierra de Guadarrama en Espagne, sans enlever une grande partie de la crédibilité des scènes de combat !

 Mais une scène reste mythique. Parfois pour de très mauvaises raisons .C’est la scène où le colonel  SS Hessler,  ( le très regretté acteur anglais Robert Shaw) , commandant de la Panzer Division chargée à écraser les américains, demande à voir les nouveaux commandants de ses tanks Tiger… Et là, le choc. Il voit (et nous voyons avec horreur) un tas de gamins retirés de leurs lycées et entrainés à la hâte pour le combat final.. .Il s’ensuit un dialogue cynique entre Hessler qui se plaint « des gamins…que des gamins » et le général qui affirme « Très bien ! Au moins ils ne connaissent pas encore le goût de la défaite !!! » Les gamins ainsi « insultés » entament alors le Panzerlied, le chant de combat des blindés allemands, en frappant le rythme avec leurs bottes .Les deux vétérans, le colonel Hessler et son ordonnance Conrad  (rôle interprété par l’excellent acteur allemand Hans Christian Blech, qui a véritablement combattu sur le front de l’Est à la Deuxième Guerre mondiale),  dont ni l’un ni l’autre ne croit plus à la victoire allemande, sont fascinés, subjugués par l’enthousiasme des jeunes recrues. Ils se joignent à leur chant martial : « Unser Sieg, Ja,  Unser Sieg !!! ». C’est une scène d’une rare puissance, une scène dont de très nombreux spectateurs, tout en appréciant la splendeur cinématographique, ont tout de suite compris le danger.

Aujourd’hui, sur You Tube, nous voyons plusieurs versions de cette scène. La première dure environ 3 minutes 50 secondes : c’est la version correcte, qui place le Panzerlied dans le contexte du dialogue qui le précède . Une version courte qui enlève le dialogue et laisse seulement la chanson : une sorte de fascination malsaine s’en dégage. Et une version totalement révoltante : celle  qui falsifie  le propos des scénaristes et du réalisateur Ken Annakin, qui consiste en un montage des scènes de combat de tanks, un montage sur fond du Panzerlied, un montage tout entier fait à la gloire de la Deuxième Division des Panzer allemands, complètement sorti du contexte du film et du contexte historique. Car  les paroles de cette chanson, nous les entendons deux fois dans le film, les deux fois dans des circonstances tragiques : la première fois dans la scène dont nous parlons, la deuxième fois lorsque « les gamins » ainsi que leur commandant, le colonel Hessler, brûlent vivants dans leurs tanks immobilisés, à la fin du film. (voir « Hessler’s Death » sur You Tube.) Ce n’est que dans la double perspective,  à la fois du film de Ken Annakin et de la réalité historique, à savoir l’alignement  des vieux et des enfants allemands pour combattre pour les dernières folies du Führer, qu’on peut réellement comprendre la beauté et la dimension réelle de cette scène devenue mythique.

Je dédie cet article à la mémoire de ma mère, Klàra Mohos.

Elisheva Guggenheim.