vendredi 26 juillet 2013

No pasaràn! Première partie: Cable Street, 1936, Londres



Deux auteurs d’origine galloise, habitant Londres. Deux auteurs de bestsellers. Le premier, vous le connaissez  certainement : il s’agit de Ken Follett. Ses thrillers et ses romans historiques ont fait le tour du monde en cent millions d’exemplaires. (voir nos articles du 5 novembre 2012 et du 5 mars 2013.) La seconde est Rosie Thomas, essentiellement lue par les femmes qui aiment la littérature romantique, la montagne et les expéditions exotiques, par exemple les séjours amoureux dans une station de recherche bulgare dans  l’Antarctique ou les passions déclenchées lors d’une escalade mouvementée de l’Everest…

Et la lutte antifasciste dans tout cela ?

Aussi bien Ken Follett que Rosie Thomas consacrent des pages mémorables à la journée  du 4 octobre 1936 dans les quartiers pauvres dans l’East End de Londres : la journée des barricades, la bataille sanglante de Cable Street  entre toutes le mouvances anti-fascistes et anti-racistes des quartiers pauvres et la police londonienne. Cette police qui s’est mise du côté des fascistes anglais, aux ordres de Sir Oswald Mosley…Ken Follett décrit cette journée, dans le deuxième tome de sa fameuse Trilogie du Siècle, «  L’Hiver du Monde », sorti en 2012. Rosie Thomas raconte les mêmes évènements dans « Amy, pour les amis » (« The White Dove »), paru en anglais déjà en 1986, sorti en France, chez J’ai Lu en 1991.De toute évidence, les deux auteurs s’inspirent des mêmes sources historiques et décrivent les évènements , ainsi que leur arrière-plan historique, sensiblement dans les mêmes termes. Leurs personnages (Le très sympathique étudiant Lloyd Williams chez Ken Follett, le ténébreux syndicaliste Gallois Nick Penry chez Rosy Thomas) obéissent aux mêmes motivations politiques et sont mus par les mêmes sentiments : enthousiasme, révolte, colère, détermination. (Et, par conséquent, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article, ces personnages seront mus par les mêmes sentiments d’amertume, de désillusion et d’abattement quelques mois plus tard, lorsqu’ils combattront  dans les Brigades Internationales, du côté Républicain, à la Guerre Civile espagnole…)

En 1936 il y avait en Angleterre 333 000 Juifs – écrit Ken Follett, en citant le Daily Worker, organe du Parti communiste anglais. La moitié de ces Juifs, originaires des pays de l’Est, dont ils ont fui les persécutions et les pogroms à la fin du 19° et au début du 20° siècle, habitait dans les quartiers  pauvres de l’Est de Londres. Et c’est justement le quartier juif de Stepney que Sir Oswald Mosley, chef du British Union of Fascists et grand admirateur d’Adolf Hitler a choisi pour faire une démonstration de force. Il a réuni ses troupes à côté de la Tour de Londres et avait l’intention de les faire défiler à travers les « quartiers enjuivés ». La route la plus prévisible passait par Cable Street. Le Daily Worker appelait toutes les forces antifascistes à constituer un véritable « mur humain », fait de dizaines de milliers d’habitants de l’East End, toutes religions et toutes appartenances partisanes confondues, pour barrer la route aux hommes de Mosley.(Les deux auteurs notent que le Parti travailliste, le Labour, ou du moins sa branche principale, n'a pas donné  son accord pour cette manifestation anti-fasciste…)

La confrontation  avec les «  Chemises Noires » de Mosley semblait inévtable ce 4 octobre 1936. Une confrontation qui n’a jamais eu lieu. Ou, du moins, pas de la manière dont tout le monde l’attendait.

 Pourtant, les deux groupes humaines, les hommes de Oswald Mosley et la foule bigarrée, faite de dockers londoniens et de mineurs gallois, de syndicalistes et de vétérans Juifs de la Grande Guerre, d’hommes et de femmes habitants de l’East End, se tient prête  au combat. Le slogan des Républicains espagnols « Ils ne passeront pas ! » (They Shall Not Pass ! No pasaràn !) couvre les murs des immeubles des quartiers  populaires, des drapeaux rouges ornent certaines fenêtres.  Au moins cent-mille antifascistes attendent les « Chemises Noires ».  Mais il n’y aura pas d’affrontement  avec l’Union des Fascistes Britanniques de Mosley.  Rosie Thomas, et Ken Follett mentionnent tous les deux une entretien entre Sir Oswald Mosley et Sir Philip Game, Chef de la Police. A la suite de cette entretien les hommes de Mosley se mettent en route, mais pas vers l’East End. Ils marchent vers les quartiers aisés de Londres.

 Mais cette nouvelle n’arrive pas à temps vers la foule surchauffée et des violences éclatent : la Police Montée charge avec une brutalité inouïe, écrasant la foule sous les pattes de leurs grands chevaux, matraquant hommes et femmes. Certains policiers font (selon Ken Follett) le salut hitlérien et , sans tenir compte de l’origine des gens, toutes les femmes sont traitées de « putes juives » et tous les hommes de « sales youpins ».Les gens ont le sentiment que la police anglaise est aux ordres de L'Union des Fascistes Britanniques. Mais ils ne se laissent pas faire. La foule érige des barricades faites de poubelles, de vieux meubles  jetés par les fenêtres. Chaque coin de rue est tenu par les habitants de East End et lorsque la Police Montée se retire, la foule en liesse a le sentiment d’avoir vécu, enfin, un grand tournant. «  Nous avons battu les fascistes anglais à Cable Street » - jubile un jeune mineur Gallois - « Maintenant nous allons battre les fascistes en Espagne !!! ».

Pauvres idéalistes…

 (Prochain article : No pasaràn ! Deuxième partie : Espagne, 1937)

Pour rappel: Winter of the World de Ken Follett a paru en anglais chez Dutton (Penguin
 Group USA) et en français chez Robert Laffont, respectivement en septembre et en novembre 2012.The White Dove (Amy, pour les amis) de Rosie Thomas a paru en anglais chez
William Collins Sons en 1986,puis chez Arrow Books en 2004, et en français
 chez J'ai Lu en 1991.

Elisheva Guggenheim-Mohosh.

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