jeudi 17 janvier 2013

"Le méchant japonais": stéréotypes d'avant Hiroshima. Deuxième partie.


(voir notre article du 15 janvier)

 
Nous avons vu dans notre article précédent que l'industrie cinématographique américaine,  dans ses films tournés entre décembre 1941 et l’été 1945, est incapable de traiter le peuple japonais avec le même respect qu’elle réserve aux ennemis de race blanche. (les Italiens et les Allemands). Mais si les américains souffrent du «  syndrome du péril jaune », du moins s’agit-il d’un péril jaune nuancé…Les Japonais sont tous affreux. Les Coréens, peuple conquis, ne sont pas inclus dans le mépris des hordes orientales. Quant aux Chinois, : « ils sont nos amis et nos alliés », et gare au scénariste hollywoodien qui oserait parler de leurs mœurs archaïques, qui ferait mention des seigneurs de guerre chinois ou qui ne traiterait pas le généralissime Tchang Kai-chek en grand démocrate !

 Mais si on a interné les Nissei (les familles américaines d’origine japonaise) dans des camps de détention (et ce malgré l’héroisme de leurs fils combattant pour l’Amérique sur le théâtre européen, par exemple dans la bataille sanglante de Monte Cassino !), s’il n’y a pas d’acteur japonais à Hollywood, qui jouera les méchants japonais dans les films de guerre et de propagande ? Eh bien, les Japonais seront joués par des acteurs américains mal maquillés, par des acteurs coréens et par des Chinois. Ce qui fera dire aux critiques de l’époque que, dans certains films, «  toute l’Armée impériale japonaise a l’air d’être évadée d’une blanchisserie chinoise, quelque part à New York… ».

 
Les stéréotypes antijaponais qui apparaissent dans tous les films américains entre 1942 et 1945 reflètent bien l’état d’esprit du public. Public pour lequel tous les Japonais sont des traîtres malins, cruels, fanatiques et arrogants.

 Deux facteurs contribuent à la formation et la généralisation de ces stéréotypes négatifs. D’une part l’immense traumatisme de l’attaque surprise sur la base navale de Pearl Harbor. D’autre part la configuration des champs de bataille en Asie et dans les Iles du Pacifique. La guerre en Europe se fait, en effet, au milieu de villes et de villages, de places, d’églises, d’édifices familiers. Aussi, l’ennemi semble-t-il familier. Les Allemands et les Italiens, avec leurs qualités et leurs défauts, apparaissent comme des êtres somme toute assez semblables aux Américains.

 
Les combats en Extrème-Orient et dans le Pacifique se déroulent, eux, au cœur de jungles moites et au milieu d’atolls isolés. L’ennemi, étrange et insondable, se confond avec le milieu inhospitalier. Dans le décors souvent somptueux des îles lointaines, toutes les normes de la civilisation occidentale semblent s’effacer devant la sauvagerie…

Achever les  blessés, torturer les prisonniers, lever les mains en signe de reddition pour ensuite dégoupiller une grenade et tuer les soldats américains naïfs et crédules...La traîtrise et la cruauté semblent tout à fait caractéristiques des fils d’un pays dont les diplomates souriants négociaient encore à Washington alors que leur bombardiers incendiaient déjà la base de Pearl Harbor…Un peuple qui a poignardé ainsi dans le dos notre chère Amérique sera toujours capable de TOUS LES CRIMES…Et, par conséquent, méritera TOUS LES CHATIMENTS!.Tel est le message des films de guerre américains entre Pearl Harbor et Hiroshima.

 Le merveilleux « Aventures en Birmanie » (Objective , Burma !) de Raoul Walsh, tourné en 1945 commence par les mots « In the japanese-infested  jungle » (dans la jungle infestée de japs ). Le chef- d’oeuvre de Howard Hawks, «  Airforce », tourné en 1942, a failli d’être interdit par la censure à cause d’un juron lâché par un aviateur. Mais on a froidement laissé passer la scène suivante : lorsqu’un pilote japonais brûle dans son avion, le pilote américain s’écrie : « One fried jap down !!! » (Et un japonais rôti, un !)…

 « Bataan », de Tay Garnett(1943) est un des nombreux films consacrés à l’épisode douloureux de la défaite américaine aux Philippines. Tout y est. Avions japonais mitraillant les colonnes de réfugiés et les ambulances de la Croix Rouge, troupes japonaises avançant inexorablement pour menacer femmes et enfants. Un petit commando d’Américains et de résistants philippins héroïques se porte volontaire pour ralentir l’avance de l’ennemi. Cet ennemi nous est montré uniquement sous la forme d’ombres menaçantes et furtives, des ombres qui surgissent des marécages fumants, qui tuent les héros de coups de baïonnette DANS LE DOS, torturent et mutilent celui qui tombe entre leurs mains et encerclent le seul survivant, qui n’est autre qu’un des plus grandes stars de Hollywood : Robert Taylor. Taylor mitraille les méchants jusqu’à son dernier souffle, en leur criant : « Venez, venez sales créatures. Nous sommes ici et nous serons toujours ici.Il faudra toujours compter avec nous  !"  Et le narrateur du film de conclure avec la promesse du général Douglas McArthur, lorsqu’il a dû quitter les Philippines (en abandonnant ses troupes tombées en captivité…) : NOUS REVIENDRONS !!!

 Fin de la deuxième partie. Demain :la route vers Hiroshima.

 
Je vous suggère de revoir « Aventures en Birmanie » (Objective , Burma !) de Raoul Walsh(1945).
D’une part un monument de haine et de colère, d’autre part certainement un des films de guerre les plus parfaits (et ceci de l’avis de tous les experts) avec Full Metal Jacket. Ecoutez bien la musique originale du film, composée par Franz Waxman : elle  est remarquable.

 
Cette série d’articles est extraite de mes émissions à RSR Espace2 et mes articles au Journal de Genève.Voir aussi ma série de quatre articles, "Pearl Harbor: d'Oahu à Okinawa", publiée sur ce blog en décembre 2012.

 
Elisheva Guggenheim-Mohos

4 commentaires:

  1. et l'unité 731 de l'Armée Impériale japonaise, Madame?

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    1. merci d'avoir soulevé cette question. L'Unité 731 de l'Armée Impériale japonaise a commis des atrocités dignes des expériences "médicales" des nazis. Mais bien
      que des criminels de guerre japonais aient été pendus
      après les procès de Tokyo en 1946, les responsables de
      l'Unité 731 n'ont pas été inquiétés. Mais seul le peuple japonais est traité comme collectivement monstrueux et collectivement coupable dans les films de guerre américains d'avant Hiroshima. En ce qui concerne les Allemands, on distingue bien entre "criminels nazis" et le peuple allemand "en général"...

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  2. qui étaient les victimes de l'Unité 731?

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    1. L'unité 731 de l'Armée Impériale japonaise a sévi en
      Mandchourie dès 1931. Elle a mené une guerre bactériologique et des expériences médicales criminelles surtout sur les prisonniers de guerre coréens, chinois et russes, mais aussi sur des populations civiles,( notamment des enfants, aux Philippines.)

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