mardi 13 novembre 2012

Hongroiseries:Michael Curtiz. Deuxième partie: le mystère de Casablanca.


C'est durant la Deuxième Guerre mondiale que Michael Curtiz aura les succès les plus paradoxaux de sa carrière. En soi, il n'est pas étonnant de le voir réaliser des films d'un patriotisme débordant. Après tout, dans les années suivant Pearl Harbor, tout le monde faisait des "flagwavers".(des film"agitant le drapeau américain"...) On peut encore comprendre " Mission to Moscow", tourné en 1943, en pleine lune de miel russo-américaine. Un film tellement prosoviétique  qu'il attirera plus tard à la Warner toutes les foudres du Maccarthysme. "Casablanca", (1942)  tourné avec les Hongrois Peter Lorre et S.Z.Sakall, l'Allemand  Conrad Veidt, l'Autrichien Paul Henreid, le Français Marcel Dalio, le Britannique Claude Rains et la Suédoise Ingrid Bergman n'est pas tout à fait un fim américain...Plus étonnant est le fait qu'on ait confié à Curtiz la réalisation de la comédie musicale d'Irving Berlin, "This is the Army". Curtiz, dont la rage patriotique ne connaît plus de limites, y fait défiler la moitié de l'armée américaine derrière la vedette, Ronald Reagan.

Quant à l'idée de confier à Curtiz, le plus hongrois de tous les Hongrois de Hollywood, la biographie filmée du compositeur George Cohan (compositeur de la chanson "Over there", hymne des soldats américains partant vers l'Europe  en 1917) elle est tout simplement ahurissante! Cohan, symbole du patriotisme américain bon teint, "made in Ireland" et son personnage sacro-saint, "Yankee Doodle Dandy",( celui qui est né un 4 juillet).. .Ne pouvait-on les confier à un "vrai" yankee? Toujours est-il que c'est Michael Curtiz qui réalisera "Yankee Doodle", pour la plus grande gloire de sa vedette, James Cagney, qui obtiendra, grâce à ce rôle, l'Oscar de la meilleure interprétation masculine en 1942.

Lorsqu'on se référe aux témoignages de l'époque, le mystère qui entoure le succès jamais démenti de "Casablanca" ne fait que s'épaissir. Otto Friedrich, dans son livre "City of Nets",( portrait fascinant de Hollywood dans les années quarante, publié chez Headline Books, à Londres, en 1987) raconte des choses ahurissantes sur le tournage.

Quelque part dans la brousse hollywoodienne quelqu'un trouve une pièce dont personne ne veut: "Everybody Comes to Rick".La Warner l'achète et les problèmes commencent. On demande aux jumeaux Epstein, Philip et Julius, d'écrire le scénario, puis, avant qu'une seule ligne ne soit écrite, on recrute les acteurs. Tout le monde demande des sommes faramineuses et tous les petits rôles (aujourd'hui célébres, mais qui le savait à l'époque?) sont payés plus cher que l'héroine, Ingrid Bergman.

A peine l'équipe est constituée que les scénaristes partent. Les Epstein sont appelés à Washington pour faire le projet de "Pourquoi nous combattons", la grande série de propagande dirigée par Frank Capra.On trouve un nouveau scénariste, Howard Koch, garçon très doué, qui ne sait pas ce qu'il veut. Curtiz,conscient des frais d'immobilisation de l'équipe, commence à tourner sur un scénario à moitié fini.

A ce moment, tout le monde est déjà un peu dingue...Humphrey Bogart est énérvé à mort parce que sa femme, Mayo, une vraie furie, menace de le tuer. La raison? Ingrid Bergman que Bogart, effrayé   par sa tendre moitié, ose à peine regarder. Ingrid Bergman est malheureuse, parce qu'elle ne comprend rien au scénario. Elle ne comprend notamment pas de qui, selon les intentions de l'auteur, elle est censée être amoureuse.... De Victor Laszlo, joué par Paul Henreid ou de Rick, interprété par Humphrey Bogart? Avec lequel partira-t-elle à la fin du film? Elle décide de le demander à Michael Curtiz. "Aucune idée" - répond Curtiz. "Mais quand même"- insiste Bergman- "comment dois-je interpréter les scénes d'amour avec Paul Henreid et Humphrey Bogart?" - "Entre les deux"- répond  Curtiz, toujours aussi aimable...

Le tournage  continue. Les Epstein sont rappelés de Washington pour faire avancer le scénario. Personne ne comprend plus rien. Tout le monde a des feuillets de texte que les autres ne possédent pas. Tout le monde vient vers Curtiz pour dire "Michael, ça ne tient pas debout. Cette histoire n'a ni queue ni tête". - "Cela ne fait rien"- répond Curtiz - "je tournerai tellement vite que personne ne s'en apercevra..."

Finalement c'est l'extrême confusion de tous, acteurs, scénaristes, techniciens, qui fera de "Casablanca" un chef d'oeuvre. Ce qui était vague, ennuyeux ou énérvant sur le plateau deviendra mystérieux, intense et superbement ironique sur l'écran. Même Dooley Wilson, qui joue le pianiste Sam, et qui ne savait ni chanter, ni jouer du piano, deviendra immortel grâce à la chanson du film "As Time Goes By". Casablanca emportera, en 1943, trois Oscars: celui du meilleur film, celui du
meilleur scénario et  celui de la meilleure mise en scéne pour Michael Curtiz.

Elisheva Guggenheim Mohosh

Ce texte est extrait de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et mes articles au Journal de Genève.

Prochains billets dès la fin de novembre: une série de quatre récits "Pearl Harbor, d'Oahu à Okinawa".
voir aussi mon autre blog,Les commérages historiques d'Elisheva Guggenheim,
www.commérageshistoriques.blogspot.ch

1 commentaire:

  1. C'est toujours interessant d'apprendre ce qui se passe derriere un film, Noemie

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