samedi 24 novembre 2012

Pearl Harbor: D'Oahu à Okinawa. Quatrième partie: la bombe.

(voir nos trois articles du 22, 23 et 24 novembre 2012)

Le principe « Germany First » - priorité accordée au front  anti-allemand, principe sur lequel Churchill et Roosevelt s’entendent dès la fin 41, se heurte rapidement aux réalités du Pacifique. Il faut arrêter le Japon. Il faut essayer de contenir les forces japonaises dans leur immense périmètre et, dès l’été 42, entreprendre la reconquête des îles.

 Trois évènements créent le tournant dans l’histoire des batailles du Pacifique. D’abord le 18 avril 1942 : 30 secondes sur Tokyo. Bombardement surprise de seize « B-25 » du colonel Doolittle sur le Japon. Bombardement qui a fait peu de dégâts mais qui  a beaucoup choqué les japonais. Puis c’est  la bataille de la mer de Corail, que les américains ne remportent pas mais les japonais non plus, et c’est déjà une nouveauté. Puis vient le vrai grand tournant, en juin 1942. La bataille de Midway, exactement au milieu de l’Océan Pacifique, où les pilotes de l’aéronavale réussissent un coup d’éclat sans précédent : mettre fin en exactement 5 minutes à la supériorité navale du Japon, en coulant 4 porte-avions et en détruisant 300 avions de l’aéronavale japonaise. Seulement attention : c’est NOUS qui savons que Midway était le tournant ; nous de notre perspective  historique. C’est nous qui savons que malgré leur tenacité et leur détérmination, malgré leur esprit de sacrifice et leur capacité terrible d’infliger des pertes, les japonais ne remporteront plus jamais une vraie victoire dans la Deuxième Guerre mondiale. C’est nous qui savons que désormais toute action militaire entreprise par les Etats Unis, se terminera, à plus au moins longue échéance, par une victoire américaine : victoire amère, victoire sanglante, mais victoire quand même!

 Commence-t-alors la longue route sanglante de la reconquête des îles. A travers des paysages d’une beauté parfois halluciante, Mc Arthur mènera l’offensive des Iles Salomon de la Nouvelle Guinée  vers son but ultime : les Philippines. Quant à l’Amiral Nimitz, il attaquera successivement les Iles Marshall, les Iles Gilbert et les Iles Mariannes, avant de pénétrer dans le périmètre interne  de la défense japonaise.

 Première grande étape, donc, en août 42 : Guadalcanal. Sa conquête prendra six mois : un avant-goût amère de se qui va suivre.. En 1943, c’est la bataille pour Tarawa, une minuscule atoll de corail dans les Iles Gilbert. 72 heures d’enfer et, vu l’exiguité du territoire, une des plus grandes concentrations de morts etde blessés sur le champ de bataille dans toute l’histoire des guerres modernes. Sur Tarawa, les américains ne feront que 17 prisonniers japonais….

 Eté 44 : les Iles Mariannes : Saipan, Tinian, Guam. Une opération combinée de la Navy, de l’aviation et de l’infanterie américaine. Une victoire écrasante sur tous les plans, mais à quel prix… Un cinquième des soldats américains morts ou estropiés à vie. Quant aux japonais, leur résistence atteint les limites humaines.  Outre  les dizaines de milliers de militaires de morts au combat, des milliers de militaires et de civils se suicident à Saipan, la plupart en se précipitant du haut des rochers. Parmi les japonais qui mettent ainsi fin à leur vie : le légendaire amiral Nagumo, celui qui dirigait  l’attaque japonaise contre Pearl Harbor…

 La perte des Iles Mariannes est le début  de la fin pour le Japon. Des bases aériennes situées sur ces îles partiront dès la fin 1944 des bombardiers géants. De véritables forteresses volantes  avec une autonomie de carburant suffisante pour atteindre les Iles japonaises et y semer la terreur.
Puis, en octobre 44, le rêve enfin réalisé pour Douglas Mc Arthur : la grande bataille navale du 
Golfe de Leyte et le débarquement américain aux Philippines.Là aussi les combats dureront six mois jusqu’à la libération complète des îles. Mais dès février 1945, dans Manille en ruine, les américains diront fièrement : NOUS SOMMES DE RETOUR

 « Nothing will stop the US Airforce… » - chantent les aviateurs américains. En effet, rien n’arrétera leurs bombardiers.. La stratégie du bombardement systématique du territoire ennemi, appliquée par les Alliés en Allemagne, va maintenant être utilisée contre le Japon. Les îles du Pacifique reconquises serviront de départ aux bombardiers géants. Dans la nuit de 9 mars 1945, 334 bombardiers B-29 volent en formation serrée vers Tokyo. Ce sera un des raids aériens les plus meurtriers de l’Histoire. Au petit matin on compte les morts : 83 000 civils tués. 83 000 morts c’est plus que l’ensemble des victimes civiles britanniques tuées par les bombardements durant toute la Deuxième Guerre mondiale !! " We’ll bomb them back to the stone ages »- ils retourneront à l’Age de Pierre – promettent les aviateurs américains en larguant les bombes incendiaries. Et les raids se répétent, les nuits, les semaines, les mois qui viennent. Tokyo, Kobé, Nagoya, Osaka, le port de Yokohama, les grands centres industriels, ne sont plus que flammes, cendres et gravats. Il n’y a plus de flotte commerciale, ni bateaux de pêche, ni voies ferrées. Les morts se comptent par centaines de milliers, les sans-abri par millions. La ration calorique des japonais se réduit à 12oo calories par jour. Le Japon, soumis à un blocus naval, est au seuil de la famine.

 Au milieu de toute cette destruction, quatre cités restent curieusement intactes. Ce sont Kokura, Hiroshima, Niigata et Nagasaki. Elles sont systématiquement évitées par l’aviation américaine,comme si elles étaient destinées pour une démonstration. Pour le moment personne ne sait laquelle…

 Trois années se sont écoulées depuis la désastreuse série  de défaites alliées. La guerre du Pacifique entre maintenant dans sa phase finale. En février 1945 les américains atteignent Iwo Jima, un petit 
enfer rocailleux perdu au milieu de l’océan , à 1000 km des côtes japonaises. La bataille sera effroyable. Plus de 5000 Marines tués. Quant aux 23 000 japonais qui défendent l’île, ils se batteront jusqu’au dern

 La bataille fait encore rage lorsque le 23 mars 1945 six soldats du  Corps des Marines réussissent à planter le drapeau américain au sommet du Mont Suribachi. Joe Rosenthal de l’Agence Associated Press est là. Il prend une photo superbe, en fait une des photos les plus célébres  de la Deuxième Guerre  mondiale. La prise du Mont Suribachi devient ainsi un autre moment-culte pour toute une génération d’américains. Quant à la légendaire photo de Joe Rosenthal, elle servira de modèle à l’énorme statue de bronze dédiée au Corps des Marines, qui se dresse près du cimetière d’Arlington.

 A peine le son du canon s’est il tu sur l’île et la lueur des lance-flammes s’est-elle éteinte que  les premiers bombardiers géants Bl-29 s’envolent déjà des pistes d’aviation construites en toute hâte. Leur but : incendier les villes japonaises.

 Les Marines, eux, continuent leur route vers la prochaine étape : l’Ile d’Okinawa, à 5oo km des còtes japonaises. Ceux qui ont combattu  à  Iwo Jima, l’ont souvent dit : ils n’ont plus peur de l’enfer, ils y ont déjä fait un tour.  Mais l’horreur d’Okinawa dépasse tout ce qu’ils  ont vu ou connu. Okinawa c’est 3 mois de boucherie désespérée, avec 120 000 morts, dont 12 mille Marines. Okinawa c’est le suicide des  officiers nippons qui préférent la mort à la défaite. Horrifiés et impuissants , les soldats américains assistent à des scènes où par dizaines, par centaines, les japonais dégoupillent leurs grenades pour se faire  sauter ou se tuent avec leurs sabres de samouraï. Mais le plus terrible à supporter à Okinawa ce sont les attaques des kamikazé. Dès le lendemain du débarquement, le 6 avril 1945, 700 avions japonais attaquent les bateaux américains au large d’Okinawa. Un avion sur deux ne dispose pas de carburant pour revenir à la base et doit se lancer contre l’objectif ennemi pour périr avec lui. Leurs pilotes sont des volontaires pour mourir et se transformer ainsi en VENT DIVIN-( en 
japonais: Kami-Kazé).  Au cours des trois mois de la bataille de l’Okinawa les américains subiront 3000 attaques suicide. A la fin, lorsqu’ils remportent la victoire, une réflexion terrible se fait surface : Continuons ainsi, de victoire en victoire, et pas un seul de nous n' en sortira vivant. Jamais, jamais 
nous ne reverrons nos familles  et nos maisons ! Car si les japonais combattent avec une telle détermination à 500 ou 1000 km de leurs côtes, combien de morts faudra-t-il pour envahir le Japon lui-même ?

 C’est cette question angoissante se qui pose à Harry Truman, lorsque le président Roosevelt meurt subitement  le 12 avril 1945. L’inexpérimenté vice-président hérite d’un problème très complexe : comment mettre fin à la guerre la plus meurtrière que l’humanité ait connue ?

C’est vrai, les bombardiers B-29 incendient à leur guise- le Japon est dévasté, affamé,épuisé. Mais il n’est pas à genoux. En Manchourie, en Corée, au Japon même, 4 millions de soldats sont debout , en armes, prêts à mourir pour leur empereur. Combien de temps, combien de morts faudrait-il pour en venir à bout ? La réponse que les experts militaires apportent au nouveau président est consternante. Si l’on prend les batailles terribles d’Iwo Jima et d’Okinawa comme base de calcul, l’invasion du Japon durera jusqu’au mois de novembre 1946 et coûtera la vie à un demi million, peut être même  à un million d’américains.

 A ce moment le dossier Manhattan, dont il n’a jamais été tenu au courant en tant que vice président, apparaît àn Harry Truman comme une lueur d’espoir. Cette arme terrible, cette bombe atomique qu’on est en train d’élaborer dans le plus grand secret depuis des années déjà à Los Alamos, dans le Nouveau Mexique, est, paraît-il, au point…Au fil  des jours, la bombe « A » paraît à Truman la panacée, la solution à tous ses problèmes. La bombe mettrait une fin immédiate à la pire guerre de l’Histoire, qui n’en finit pas de tuer, et ce avec des pertes limitées à quelque dizaines de milliers de morts, contre les millions qu’entraînerait la poursuite des combats .La bombe prendrait les russes de vitesse et les empêcherait de tenir leur promesse encombrante d’attaquer les japonais dans le dos après la fin des combats en Europe! Ainsi ils seront écartés de la scène Extrême-Orientale et n’y 
auront pas droit à une part de vainqueur!La bombe servirait même d’instrument de paix et de démocratie le lendemain de la victoire des Alliés- notamment en remodelant le système politique du Japon !!

 Certains experts militaires essayent de persuader le président que tout le problème de l’invasion est un faux problème et le spectre d’un million d’américains morts est un faux spectre. Selon ces avis, la poursuite du bombardement systématique du Japon, ainsi qu’un blocus naval suffiront pour épuiser très rapidement l’Empire du Soleil Levant.A ces  voix  optimistes, d’autres voix répondent qu’on a 
bien bombardé l’Allemagne à feu et à sang : les Alliés ont quand même dû envahir le pays, et le prendre, mètre après mètre, à la baïonette. On devrait agir de même avec les japonais, quitte à  
attteindre le prorata des pertes d’Iwo Jima et d’Okinawa.

 D’autres voix s’élèvent alors pour demander à Truman de se satisfaire d’une explosion atomique démonstrative sur une île déserte. Encore d’autres, dont le secrétaire à la défense Henry Stimson, veulent adoucir la formule impitoyable de « capitulation sans conditions » (Unconditional Surrender)-qu’on veut imposer au Japon. Ils proposent une formule plus acceptable pour ceux qui, au Japon, poussent l’Empereur Hirohito vers une « réddition honorable ».
 Tous ces conseils modérateurs sont rejetés. Dans la déclaration finale de la Conférence de Potsdam du 26 juillet 1945 est inclus un ultimatum exigeant une capitulation japonaise sans conditions. En cas de refus Truman est décidé de larguer une bombe atomique, sans avertissement, sur un objectif réel. Le gouvernement japonais ne réagit pas à l’ultimatum. Les Alliés considèrent ce silence comme un refus.


A l’aube du 6 août, un bombardier B-29, l’Enola Gay, s’envole de la base de Tinian,dans les Iles Mariannes. La bombe dans la soute est de type « Thin Boy »- Petit Gamin – en uranium. La cible est 
choisie en fonction des conditions météorologiques. Justement : le soleil brille sur Hiroshima. Une lueur, et le cœur de cette ville arrête de battre…

Le 8 août  Staline déclare la guerre au Japon et attaque la Manchourie. Le 9 août une bombe atomique  de type « Fat Man » - Gros Bonhomme – en plutonium, doit  être larguée sur la ville de Kokura. Le bombardier B-29 tourne en rond… Puis la bombe est larguée, in extrémis, sur Nagasaki… Cinq jours plus tard le Japon capitule. Et c’est le 2  septembre, sur l’USS Missouri, ancré 
dans la Baie de Tokyo et triomphalement survolé par les avions américains, que le général Mc Arthur déclarera : « these proceedings are close »… Cette histoire est finie.


Elisheva GUGGENHEIM-MOHOSH
Ce quatrième article met fin à la  série consacrée à l'attaque japonaise sur Pearl Harbor et ses conséquences. Les articles sont extraits de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et de mes articles au journal de Genève.

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