(voir nos articles du 24, 25 et 26 décembre 2012)
Le matin du 16 mars 1968 une unité appartenant à la Division
Americal assassine brutalement 347 civils, hommes, femmes et enfants, dans un
hameau vietnamien nommé My Lai. Pendant que les soldats américains commandés
par le lieutenant William « Rusty » Calley violent, mitraillent et
brûlent leurs victimes des dizaines de hélicoptères et d’avions survolent la
région à basse altitude. Leurs pilotes prétendront de n’avoir rien vu, rien
entendu .Ils ont tous été frappés de cécité et de surdité ce jour-là. Sauf
un : Hugh C. Thompson, qui atterrit, pointe sa mitraillette sur le
lieutenant Calley
et lui arrache
quelques survivants du massacre, qu’il évacue dans son hélicoptère.
Hugh Thompson essaie d’alerter ses camarades, ses
supérieurs, l’aumônier militaire .En vain. On lui fait entendre raison :
il faut qu’il arrête de bavarder…Et Thompson finit de rentrer dans le rang. Il
se tait.
Il se produit alors un miracle. Le soldat Ron Ridenhour n’était
pas présent à My Lai. Mais certains de ses camarades lui racontent des
histoires horribles. Ce sont de bons garçons américains, des types tout à fait
normaux .Et c’est ce qui fait peur à Ron Ridenhour. Certains de ces garçons
qui, chez eux, en Amérique, n’auraient pas levé la main sur un gosse, lui
avouent d’avoir tué, violé, brûlé, massacré des dizaines de civils vietnamiens.
Pendant des mois Ridenhour fait l’enquête en silence. Il réunit des noms, des
faits, des preuves. De retour aux Etats –Unis il adresse une lettre
dactylographiée à trente membres du Congrès américain. L’affaire éclate en
public en novembre 1969. Le lieutenant Calley est arrêté, inculpé de meurtre,
jugé et condamné à la détention à vie en mars 1971.
L’affaire déchaîne les passions en Amérique. Une grande
partie de l’opinion publique est sincèrement choquée de ce qu’on a appelé
« stoned murder » (du meurtre commis par des soldats complètement
« défoncés » par la drogue). Elle ne reconnaît plus les
« boys », ces garçons que la nation a envoyés outre-mer pour défendre
la liberté. « C’est donc cela, une guerre menée par une
démocratie ? » se demandent-elle, effarée...
Mais beaucoup d’américains sont choqués, au contraire, du
bruit fait autour de l’affaire. La « Ballade de Rusty Calley »,
« brave gars de chez nous », qu’on « embête »pour avoir
éliminé quelques communistes, se joue dans tous les juke-box du pays. Des
milliers de lettres et de télégrammes sont envoyés à
la Maison Blanche, exigeant la révision du
procès. Pour ces milliers d’américains Calley n’est qu’un bouc- émissaire. Il
faut le libérer.
Le président Nixon
finit par entendre ces voix : la sentence est réduite à dix ans
d’emprisonnement. En 1974, au bout de cinq ans en prison, Calley libéré rentre
chez lui.
Mais pour des millions d’américains l’affaire ne s’arrête
pas là .Pour eux aussi Calley n’est qu’un misérable bouc-émissaire. Un
bouc-émissaire qui s’est fait condamner pour les crimes de ses soldats, de ses
supérieurs hiérarchiques, pour les crimes de l’armée américaine toute entière,
pour le « système » tout entier…Ce n’est donc pas le lieutenant
Calley seul qui aurait dû se trouver dans le box des accusés. Des dizaines, des
centaines, des milliers d’accusés auraient dû le partager avec lui. Tous ceux
qui ont commis le massacre. Ceux qui, comme le commandant de la Division
Americal, ont tout vu et su et n’ont rien dit. Et surtout ceux qui ont rendu
une telle chose possible : ceux qui ont inventé la notion infâme de Free
Fire Zone – Zone de Tir à Volonté !
Dans ces Zones, réputées « infestées » par le
Vietcong on questionnait souvent les paysans dans les champs. La conversation
se déroulait difficilement : la barrière de la langue sans doute…A la fin
de la conversation le paysan vietnamien se retrouvait parfois mort. Le soldat
teenager ne s’embarrassait pas d’explications. On lui a mille fois
répété : « Shoot first, talk later » (Tire d’abord, cause
ensuite). « If it’s dead, it’s VC » (si c’est crevé, c’est que
c’était du Vietcong…). Fallait-il s’étonner, que dans ces conditions ces teenagers (âge moyen : 19 ans) ne
sachent pas distinguer entre meurtre permis et meurtre punissable ?
Après le procès Calley, pour l’Amérique et pour le monde, My
Lai devient synonyme de Vietnam. Des centaines de milliers de soldats qui n’ont
jamais touché un cheveu d’un civil innocent, s’entendront appeler « Baby
Killer » (tueur de gosses) à leur retour de la guerre .Des milliers de
garçons américains qui ont risqué leur vie en portant secours à des villageois
vietnamiens terrorisés par le Vietcong se feront traiter de Baby-Killer au même
titre que les massacreurs de My Lai. Leur réinsertion dans la société
américaine n’en sera que plus difficile.
Ces quatre récits
sont tirés de mes articles au Journal de Genève et de mes émissions à la
Radio Suisse Romande, Espace2. Pour actualiser cet article deux remarques: Ron Ridenhour est décédé
en 1998, à l'âge de 52 ans. William Calley a demandé pardon, très tardivement, en août 2009, pour le massacre de My Lai.
Demain, en cadeau, un florilège de livres, films, musiques,
montages sur You Tube en rapport avec la Guerre du Vietnam.
Elisheva Guggenheim-Mohosh
Il parait que les Americains ont mal compris les rires des femmes vietnamiennes. Elles etaient terrorisees et riaient, ce qui se fait la-bas. Ils ont cru qu'elles se moquaient. Une incomprehension culturelle. Ce n'est pas la seule explication du massacre, mais c'est interessant. Noemie
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