vendredi 28 décembre 2012

Guerre du Vietnam: l'Offensive du Têt, prélude à un gâchis. (V). Florilège de musiques, livres, films, montages sur You Tube...

« We don’t smoke marijuana in Muskogee, we don’t take no trips on LSD"…"We don't burn no draft-cards down on main-street"...Et encore:..".We don’t let our hair grow long and shabby, like the hippies out in San Francisco do"... Enumération très ironique de tout ce que les gens ne font pas à Muskogee, Oklahoma, U.S.A !!! " Okie from Muskogee",chantée par Merle Haggard sur You Tube, sur la bande originale 33 tours et le CD de « Platoon » d’Oliver Stone et par une bande de copains complètement  défoncés dans une scène du film…

 A écouter aussi le merveilleux Adagio for Strings de Samuel Barber, thème principal de « Platoon » (1986).

 
Egalement pour la musique classique : « La chevauchée des Walkyries »  de  Richard Wagner,  avec ou sans le bruit des hélicoptères mixé dans la musique. (Non sur le CD, oui sur 33 tours, bande originale du film « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola, et, bien sûr, oui sur les videos du film et sur les scènes visibles sur You Tube).

 
« The End » par les Doors:" This is the end, my only friend, the end..". Sur 33 tours, sur DVD et sur et la scène visible sur You Tube , vous trouverez un mixage  magnifique de la voix de Jim Morrison avec le bruit  des hélicoptères, et ensuite avec le son des  ventilateurs dans une chambre,( sur fond d’images de jungles et de napalm) et la voix de Martin Sheen qui dit : « Saigon… Shit. I’m still in Saigon… » A revoir absolument la scène et re-entendre la chanson. « Apocalypse Now », 1979.

 
« Good -bye my sweetheart, hello Vietnam” chanté par Johnny Wright sur la bande originale de
“Full Metal Jacket” de Stanley Kubrick. Egalement sur  ce CD, la musique originale composée par la fille de Stanley Kubrick, Abigail Mead, (Vivian Kubrick) “Sniper”, illustrant les sons du siège de la ville de Hué durant l’Offensive du Têt. Absolument superbe. Mais l’illustration musicale des
 films de Kubrick est toujours très bonne !

 
Pour la «  Guerre des Deux Barry » qui a fait rage sur les ondes des stations de radio en Amérique, au début de la guerre du Vietnam, en 1965, il faut absolument écouter (ou re-écouter) Barry MCGuire chantant  « Eve of Destruction » (mais il faut vraiment écouter la version originale de 1965 !!). Chanson anti-guerre : « You’re old enough to kill but not for voting… ». Il faut aussi écouter l’autre Barry, le  Staff  Sergeant Barry Sadler chantant la très patriotique « Ballad  of the Green Beret ». Chanson que le compositeur Miklòs Ròzsa a transformé en Hymne pour la musique originale du risible « Green Berets » de John Wayne, qu’il faut voir, ne serait-ce que pour la scène finale, où le soleil se couche… à l’Est. ( Ne le prenez pas mal. J’adore John Wayne.)

 
Pour les livres : bien sûr, le meilleur est « Vietnam, a History » de Stanley Karnow. «Dispatches » (en français « Putain de Mort ») de Michael Herr est un chef- d’oeuvre. « The Short Timers » (en français « Le merdier » ou Full Metal Jacket) de Gustav Hasford est à lire absolument. Les très intéressants « Dear America, Letters Home from Vietnam » recueil de lettres de soldats américains au front, et «Long Time Passing, Vietnam and the Haunted Generation » de Myra McPherson sont mes préférés. Pour connaître les origines de la guerre lire « Planning a Tragedy » de Larry Berman.

Deux bons montages sur Yout Tube:" The Vietnam War" sur la musique de "The House of the Rising Sun" (The Animals) posté par Toby009, vu par presque 3 millions de personnes et "The Vietnam War" sur la musique de "Paint it Black" (The Rolling Stones) posté par THEFUZZ5445, vu par plus  de 8 millions de personnes. (Ma préférence personnelle: The Animals, montage plus rythmé.)


Finalement, un magnifique film très sous-estimé, un film de deuil d’un réalisateur  en deuil, « Gardens of Stone », (Jardins de Pierre) de Francis Ford Coppola, 1987. Très loin des bruits et des fureurs d’Apocalypse Now et toujours autant de talent.

 

Fin de la série de cinq articles.

 

Elisheva Guggenheim-Mohosh

mercredi 26 décembre 2012

Guerre du Vietnam:l'Offensive du Têt, prélude à un gâchis. Quatrième partie: My Lai, "stoned murder"!

(voir nos articles du 24, 25 et 26 décembre 2012)

 
Le matin du 16 mars 1968 une unité appartenant à la Division Americal assassine brutalement 347 civils, hommes, femmes et enfants, dans un hameau vietnamien nommé My Lai. Pendant que les soldats américains commandés par le lieutenant William « Rusty » Calley violent, mitraillent et brûlent leurs victimes des dizaines de hélicoptères et d’avions survolent la région à basse altitude. Leurs pilotes prétendront de n’avoir rien vu, rien entendu .Ils ont tous été frappés de cécité et de surdité ce jour-là. Sauf un : Hugh C. Thompson, qui atterrit, pointe sa mitraillette sur le lieutenant Calley  et lui arrache quelques survivants du massacre, qu’il évacue dans son hélicoptère.

 
Hugh Thompson essaie d’alerter ses camarades, ses supérieurs, l’aumônier militaire .En vain. On lui fait entendre raison : il faut qu’il arrête de bavarder…Et Thompson finit de rentrer dans le rang. Il se tait.

 
Il se produit alors un miracle. Le soldat Ron Ridenhour n’était pas présent à My Lai. Mais certains de ses camarades lui racontent des histoires horribles. Ce sont de bons garçons américains, des types tout à fait normaux .Et c’est ce qui fait peur à Ron Ridenhour. Certains de ces garçons qui, chez eux, en Amérique, n’auraient pas levé la main sur un gosse, lui avouent d’avoir tué, violé, brûlé, massacré des dizaines de civils vietnamiens. Pendant des mois Ridenhour fait l’enquête en silence. Il réunit des noms, des faits, des preuves. De retour aux Etats –Unis il adresse une lettre dactylographiée à trente membres du Congrès américain. L’affaire éclate en public en novembre 1969. Le lieutenant Calley est arrêté, inculpé de meurtre, jugé et condamné à la détention à vie en mars 1971.

 
L’affaire déchaîne les passions en Amérique. Une grande partie de l’opinion publique est sincèrement choquée de ce qu’on a appelé « stoned murder » (du meurtre commis par des soldats complètement « défoncés » par la drogue). Elle ne reconnaît plus les « boys », ces garçons que la nation a envoyés outre-mer pour défendre la liberté. « C’est donc cela, une guerre menée par une démocratie ? » se demandent-elle, effarée...

 
Mais beaucoup d’américains sont choqués, au contraire, du bruit fait autour de l’affaire. La « Ballade de Rusty Calley », « brave gars de chez nous », qu’on « embête »pour avoir éliminé quelques communistes, se joue dans tous les juke-box du pays. Des milliers de lettres et de télégrammes sont envoyés à  la Maison Blanche, exigeant la révision du procès. Pour ces milliers d’américains Calley n’est qu’un bouc- émissaire. Il faut le libérer.  Le président Nixon finit par entendre ces voix : la sentence est réduite à dix ans d’emprisonnement. En 1974, au bout de cinq ans en prison, Calley libéré rentre chez lui.

 
Mais pour des millions d’américains l’affaire ne s’arrête pas là .Pour eux aussi Calley n’est qu’un misérable bouc-émissaire. Un bouc-émissaire qui s’est fait condamner pour les crimes de ses soldats, de ses supérieurs hiérarchiques, pour les crimes de l’armée américaine toute entière, pour le « système » tout entier…Ce n’est donc pas le lieutenant Calley seul qui aurait dû se trouver dans le box des accusés. Des dizaines, des centaines, des milliers d’accusés auraient dû le partager avec lui. Tous ceux qui ont commis le massacre. Ceux qui, comme le commandant de la Division Americal, ont tout vu et su et n’ont rien dit. Et surtout ceux qui ont rendu une telle chose possible : ceux qui ont inventé la notion infâme de Free Fire Zone – Zone de Tir à Volonté !

 Dans ces Zones, réputées « infestées » par le Vietcong on questionnait souvent les paysans dans les champs. La conversation se déroulait difficilement : la barrière de la langue sans doute…A la fin de la conversation le paysan vietnamien se retrouvait parfois mort. Le soldat teenager ne s’embarrassait pas d’explications. On lui a mille fois répété : « Shoot first, talk later » (Tire d’abord, cause ensuite). « If it’s dead, it’s VC » (si c’est crevé, c’est que c’était du Vietcong…). Fallait-il s’étonner, que dans ces conditions  ces teenagers (âge moyen : 19 ans) ne sachent pas distinguer entre meurtre permis et meurtre punissable ?

 Après le procès Calley, pour l’Amérique et pour le monde, My Lai devient synonyme de Vietnam. Des centaines de milliers de soldats qui n’ont jamais touché un cheveu d’un civil innocent, s’entendront appeler « Baby Killer » (tueur de gosses) à leur retour de la guerre .Des milliers de garçons américains qui ont risqué leur vie en portant secours à des villageois vietnamiens terrorisés par le Vietcong se feront traiter de Baby-Killer au même titre que les massacreurs de My Lai. Leur réinsertion dans la société américaine n’en sera que plus difficile.

Ces quatre récits  sont tirés de mes articles au Journal de Genève et de mes émissions à la Radio Suisse Romande, Espace2. Pour actualiser cet article deux remarques: Ron Ridenhour est décédé
en 1998, à l'âge de 52 ans. William Calley a demandé pardon, très tardivement, en août 2009, pour le massacre de My Lai.

 Demain, en cadeau, un florilège de livres, films, musiques, montages sur You Tube en rapport avec la Guerre du Vietnam.

 Elisheva Guggenheim-Mohosh

Guerre du Vietnam:l'Offensive du Têt, prélude à un gâchis. Troisième partie:la génération hantée...


(voir nos articles du 24 et du 25 décembre 2012)

 
« There is no front-line in Vietnam » (Il n’y a pas de ligne de front au Vietnam…)-dira la Platoon Sergeant Clell Hazard (interprété par l’acteur américain James Caan) dans l’excellent Gardens of Stone (Jardins de pierre, 1987) de Francis Ford Coppola. Pour le sergent-instructeur Hazard, vétéran de la guerre de Corée, la guerre de Vietnam est une mauvaise guerre et les vies des jeunes soldats y sont inutilement gaspillées .Ces très jeunes soldats américains, âgés, en moyenne, de 19 ans, sont ce que l’on appelle des « short-timers ». Il  font  un tour de service au Vietnam d’exactement 395 jours. Contrairement à leurs ennemis communistes, le maquis du Vietcong, mais aussi les soldats de l’armée régulière nord-vietnamienne, qui combattent « jusqu’à la victoire finale », le soldat américain, auquel personne n’a expliqué ce que veut dire « une victoire finale » dans une « guerre limitée », ne sait pas ce qu’il fait exactement au Vietnam… Il sait seulement qu’il rentrera en Amérique, s’ il survit sans mutilation ou sans blessure grave, 394 jours… En attendant, il marche, sans but précis, de jungles en rizières et de rizières en jungles. Il marche, il a peur et il tue.

 Il n’y a pas de « soldats planqués » au Vietnam .Des unités de combat jusqu’au dernier « clerc planqué » dans les bureaux d’une base militaire, tout le personnel américain est soumis à un stress sans relâche. Incapable de reconnaître l’ennemi parmi la population, le soldat américain voit du Vietcong partout. Il a peur à chaque pas et à chaque minute d’une mine, d’un engin piégé, d’une attaque à la roquette. Peur des passants et peur des paysans aux champs, peur des jeunes femmes qui peuvent tirer une grenade des couches de leur bébé, peur des enfants qui peuvent renseigner le Vietcong.

 
S’il tire, il risque de tuer un civil innocent. S’il hésite il risque sa vie et celle des ses camarades. Et il hésitera d’autant moins qu’à la guerre du Vietnam, en absence d’objectif précis, la seule preuve tangible de la « victoire » c’est le nombre des cadavres de l’ennemi. C’est le sinistre « body count », le décompte des tués vietnamiens : unité de mesure totalement pervertie, qui mènera certains soldats vers la folie et vers le meurtre gratuit.  « Shoot first, talk later », diront les soldats teenagers… (tire d’abord, cause ensuite…). Et encore : « If it’s dead, it’s VC », (si c’est crevé c’est que c’était du Vietcong…).

 Si le jeune soldat américain est touché, il devra, grâce au miracle du MEDEVAC (évacuation rapide des blessés par hélicoptère) faire face à des mutilations rarement vues dans les guerres précédentes, parce qu’un triple, quadruple amputé y mourrait avant d’arriver sur la table d’opération.

Rapatrié sans transition des riziers vietnamiens vers les gratte-ciel américains, réimplanté dans une société au mieux indifférente, au pire hostile, il devra y faire face à des préjugés, des injures, se faire appeler « baby –killer » (tueur de gosses), il sombrera très souvent dans ce qu’on a commencé, très vite, appeler « le syndrome du vétéran du Vietnam » : le fameux D-PTSD (Delayed Post Traumatic Disorder) : choc post- traumatique , accompagné d’une totale perte de repères et, surtout, de «  perte de signification » (« loss of meaning »)… D’où le taux très élevé de divorces et de suicides parmi les vétérans de cette guerre que l’Amérique finira par perdre.

 

Fin de la troisième partie. Suite demain : My Lai et après, "stoned murder"...

Je vous recommande de revoir deux films de Francis Ford Coppola : le très-très fameux « Apocalypse Now » ,1979 et surtout le très sous-estimé et néanmoins magnifique « Gardens of Stone » (Jardins de pierre, 1987). Deux films d’Oliver Stone : «  Platoon »,  1986, et « Born On a Fourth of July”1989, (Né un quatre juillet, où, pour une fois, Tom Cruise joue vraiment très bien!)

 

Elisheva Guggenheim-Mohosh

mardi 25 décembre 2012

La Guerre de Vietnam: l'Offensive du Têt, prélude à un gâchis.Deuxième partie.


(voir notre article du 24 décembre 2012)

 L’Offensive du Têt  ( du 31 janvier au 26 février 1968), dont la couverture journalistique intensive a fait entrer la Guerre du Vietnam dans toutes les maisons américaines, est considérée aujourd’hui comme un des pires échecs des services de renseignements américains depuis l’attaque japonaise sur Pearl  Harbor en 1941.L’incapacité de prévoir une attaque communiste si audacieuse, si bien préparée et coordonnée contre toutes les grandes et moyennes agglomérations urbaines su Sud Vietnam a mis en évidence le fait que toute la perception américaine de la guerre était viciée dès le début, dés le fameux « Incident de la Baie de Tonkin". En fait, dès 1964.

 La bataille de Khesanh et l’Offensive du Têt  - toutes deux des victoires américaines sur le terrain, avaient toutes les deux le goût très  amer d’un échec. Ceux qui dirigeaient les combats dans les jungles et les riziers d’Asie depuis leurs bureaux à Washington ou, tout au plus, cloîtrés à l’Ambassade américaine à Saigon, se sont enfin rendus compte du fait que cette guerre n’avait pas d'objectifs bien définis, qu’ils ne connaissaient pas vraiment leurs alliés sud-vietnamiens et, surtout, surtout, qu' ils ont totalement sous- estimé leurs ennemis: aussi bien le Vietcong (le maquis communiste sud-vietnamien) que les spartiates du Sud-Est asiatique, à savoir l’Armée nord-vietnamienne régulière! (la fameuse NVA : North Vietnamese Army, toute à fait présente dans le Sud ! Alors que Washington a lié les mains des généraux américains en interdisant aux soldats américains de poursuivre l’ennemi au-delà du 17° parallèle ! Bombarder le Nord jour et nuit : oui. Permettre une offensive terrestre : non.)

 L’entourage du président Johnson est confronté en ce début de 1968 aux vraies questions. Quelles sont les limites d’une « guerre limitée » ? Comment combattre un ennemi dont le but déclarée est « la victoire finale », avec tout ce que cela comporte  d’illimité dans le temps et en termes de sacrifice ?

 De son incapacité de répondre à ces questions, le président Johnson tire les conséquences qui s’imposent : il ne se présentera pas aux prochaines élections. Il part .Cinq ans et près d’un million de victimes plus tard l’Amérique arrivera à la même conclusion .Et durant cinq ans encore la guerre se poursuit dans la confusion totale des lignes de front intraçables, de progrès non démontrables, de positions chèrement acquises et sans explication abandonnées, comme le fut la base américaine de Khesanh…

 Khesanh, en tant que modèle réduit du gâchis vietnamien, revient souvent dans le récit amer des vétérans : ces trois millions et demi d’hommes et femmes américains, qui reviennent au pays traumatisés, souvent mutilés (au sens propre et figuré) comme aucune génération d’américains avant eux .L’âge moyen du soldat américain au Vietnam est 19 ans .Il est donc de sept ans plus jeune que ne l’était son père, combattant de la Deuxième Guerre mondiale.

 Le soldat américain au Vietnam est ce que Gustav Hasford, (auteur du roman qui servira de base  au scénario de Full Metal Jacket) , appellera plus tard un « short-timer ». Un soldat qui fait un « tour de service » au Vietnam d’exactement 395 jours (s’il n’est pas mort ou mutilé avant…).Sa démobilisation interviendra non pas en fonction d’une mission accomplie ou d’un objectif atteint, mais simplement grâce au fait qu’il a survécu , sans blessure grave, 394 jours…C’est une solution qui est vraiment catastrophique et pour le psychisme du soldat et pour ce qu’on appelle, en termes militaires, « l’esprit de corps ». Le G.I est tiraillé entre le soulagement de partir et la culpabilité d’abandonner ses camarades en plein combat. A mesure que le jour fatidique approche il est de plus en plus angoissé : y arrivera-t-il vivant ?

 Fin de la deuxième partie. La suite demain.

 Je vous propose de lire le magnifique « Dispatches » de Michael Herr,( paru en anglais chez Alfred Knopf, en 1977) un véritable chef-d’oeuvre, paru en français chez Stock, et intitulé, je ne sais  pourquoi « Putain de mort ». Egalement les très bons «  Long Time Passing. Vietnam and the Haunted Generation » de Myra McPherson, (Signet, New American Library, 1984) et"Dear America,, Letters Home from Vietnam” (Pocket  Books, 1985).

 Ce récit est tiré de mes articles au Journal de Genève et de mes emissions à la Radio Suisse Romande, Espace2.

Elisheva Guggenheim-Mohosh

lundi 24 décembre 2012

Guerre du Vietnam:l'Offensive du Têt, prélude à un gâchis.Première partie.


Khesanh, petite base américaine près du 17-ème parallèle –la frontière séparant les deux Vietnam- étaient située au milieu de collines qui rappelaient la Toscane. Rien ne la destinait à la célébrité, même lorsqu’elle fut attaquée au début de 1968 par quatre divisions d’infanterie nord-vietnamiennes. L’intervention américaine au Vietnam était alors à sa quatrième année, les grandes attaques frontales contre les bases américaines à leur quatrième mois.

 Pourquoi Khesanh est-elle devenue l’abcès de fixation du commandement américain au point de divertir son attention de toute autre opération ? Pourquoi, malgré le déluge de bombes que déversaient les B-52 et le nombre relativement limité des pertes américaines ces derniers se sont-ils comparés à la malheureuse garnison française massacrée en 1954 ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’un modèle réduit du plateau de Khesahn fut construit dans les sous-sols de la Maison Blanche. Le président Johnson, inquiet, tournait autour de ce modèle, la nuit, en robe de chambre, déclarant à ses généraux : « Je ne veux pas, entendez vous, je ne veux pas d’un Dien-Bien-Machin » (Selon Stanley Karnow : « I dont want any damn Dinbinphoo.. »Voir notes).

 La bataille autour de Khesanh fait rage depuis dix jours, lorsque dans la nuit du 31 janvier 1968 les forces communistes lancent leur offensive dite « du Têt ». Une attaque minutieusement préparée, superbement coordonnée contre toutes les grandes et moyennes agglomérations urbaines. Le Vietcong, aidé des forces nord-vietnmiennes frappe de Hué et Danang au nord à Saigon au Sud, en passant par Pleiku et Dalat avec la même férocité, la même audace, souvent suicidaire !

 Des hauts plateaux jusqu’au bord de la mer, du Delta du Mékong jusqu’à la frontière laotienne, les villes vietnamiennes brûlent .Les américains, pris par surprise, dépêchent leurs forces dans les jungles et les rizières vers les villes. Certaines seront reprises en quelques jours. D’autres, comme la ville de My Tho , seront « détruites afin d’être sauvées » des communistes…Hué sera doublement martyrisée : d’abord par un règlement de comptes en forme de bain de sang contre les fonctionnaires du régime sud-vietnamien commis par le Vietcong. Ensuite par trois semaines de pilonnement et de bombardement américains. La plus sanglante bataille de la Guerre du Vietnam se termine le 26 février 1968 avec la reprise de la Citadelle de Hué. Et toute l’attention va se tourner à nouveau vers Khesanh. Khesahn, qui résistera victorieusement à 9 semaines de siège pour être très discrètement abandonnée en juin 1968 avec le départ du général Westmoreland du Vietnam….

 
L’Offensive du Têt et le siège de Khesanh : deux victoires américaines qui ont le goût amer de la défaite .Le Têt est considéré aujourd’hui comme un des lus graves échecs des reinseignements américains depuis Pearl Harbor .Mais au delà de l’incapacité de prévoir une attaque d’une telle envergure, cette offensive a mis en évidence une myopie plus globale. Elle a démontré que toute la perception américaine de la guerre était dès 1964 viciée par trois malentendus : la méconnaissance de ses propres motivations (la fameuse question de la Deuxième Guerre mondiale, « Pourquoi nous combattons ? »…),la méconnaissance de l’allié sud-vietnamien et la méconnaissance de l’ennemi !

 
Fin de la première partie. Suite demain.
Ce récit est tiré de mes articles au Journal de Genève et mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2.
 
(Je vous recommande la lecture de « Vietnam, a History » de Staley Karnow, Penguin Books, 1984. A mon avis le meilleur ouvrage écrit sur la guerre du Vietnam. Et visionnez à nouveau Full Metal Jacket de Stanley Kubrick !

 Quant à la citation de la boutade du président Johnson (« I  don’t  want any damn dinbinphoo »)- elle fait, bien sûr, allusion à la bataille de Dien Bien Phu  entre la garnison française et le Viet Minh en 1954),
 
Elisheva Guggenheim-Mohosh

samedi 24 novembre 2012

Pearl Harbor: D'Oahu à Okinawa. Quatrième partie: la bombe.

(voir nos trois articles du 22, 23 et 24 novembre 2012)

Le principe « Germany First » - priorité accordée au front  anti-allemand, principe sur lequel Churchill et Roosevelt s’entendent dès la fin 41, se heurte rapidement aux réalités du Pacifique. Il faut arrêter le Japon. Il faut essayer de contenir les forces japonaises dans leur immense périmètre et, dès l’été 42, entreprendre la reconquête des îles.

 Trois évènements créent le tournant dans l’histoire des batailles du Pacifique. D’abord le 18 avril 1942 : 30 secondes sur Tokyo. Bombardement surprise de seize « B-25 » du colonel Doolittle sur le Japon. Bombardement qui a fait peu de dégâts mais qui  a beaucoup choqué les japonais. Puis c’est  la bataille de la mer de Corail, que les américains ne remportent pas mais les japonais non plus, et c’est déjà une nouveauté. Puis vient le vrai grand tournant, en juin 1942. La bataille de Midway, exactement au milieu de l’Océan Pacifique, où les pilotes de l’aéronavale réussissent un coup d’éclat sans précédent : mettre fin en exactement 5 minutes à la supériorité navale du Japon, en coulant 4 porte-avions et en détruisant 300 avions de l’aéronavale japonaise. Seulement attention : c’est NOUS qui savons que Midway était le tournant ; nous de notre perspective  historique. C’est nous qui savons que malgré leur tenacité et leur détérmination, malgré leur esprit de sacrifice et leur capacité terrible d’infliger des pertes, les japonais ne remporteront plus jamais une vraie victoire dans la Deuxième Guerre mondiale. C’est nous qui savons que désormais toute action militaire entreprise par les Etats Unis, se terminera, à plus au moins longue échéance, par une victoire américaine : victoire amère, victoire sanglante, mais victoire quand même!

 Commence-t-alors la longue route sanglante de la reconquête des îles. A travers des paysages d’une beauté parfois halluciante, Mc Arthur mènera l’offensive des Iles Salomon de la Nouvelle Guinée  vers son but ultime : les Philippines. Quant à l’Amiral Nimitz, il attaquera successivement les Iles Marshall, les Iles Gilbert et les Iles Mariannes, avant de pénétrer dans le périmètre interne  de la défense japonaise.

 Première grande étape, donc, en août 42 : Guadalcanal. Sa conquête prendra six mois : un avant-goût amère de se qui va suivre.. En 1943, c’est la bataille pour Tarawa, une minuscule atoll de corail dans les Iles Gilbert. 72 heures d’enfer et, vu l’exiguité du territoire, une des plus grandes concentrations de morts etde blessés sur le champ de bataille dans toute l’histoire des guerres modernes. Sur Tarawa, les américains ne feront que 17 prisonniers japonais….

 Eté 44 : les Iles Mariannes : Saipan, Tinian, Guam. Une opération combinée de la Navy, de l’aviation et de l’infanterie américaine. Une victoire écrasante sur tous les plans, mais à quel prix… Un cinquième des soldats américains morts ou estropiés à vie. Quant aux japonais, leur résistence atteint les limites humaines.  Outre  les dizaines de milliers de militaires de morts au combat, des milliers de militaires et de civils se suicident à Saipan, la plupart en se précipitant du haut des rochers. Parmi les japonais qui mettent ainsi fin à leur vie : le légendaire amiral Nagumo, celui qui dirigait  l’attaque japonaise contre Pearl Harbor…

 La perte des Iles Mariannes est le début  de la fin pour le Japon. Des bases aériennes situées sur ces îles partiront dès la fin 1944 des bombardiers géants. De véritables forteresses volantes  avec une autonomie de carburant suffisante pour atteindre les Iles japonaises et y semer la terreur.
Puis, en octobre 44, le rêve enfin réalisé pour Douglas Mc Arthur : la grande bataille navale du 
Golfe de Leyte et le débarquement américain aux Philippines.Là aussi les combats dureront six mois jusqu’à la libération complète des îles. Mais dès février 1945, dans Manille en ruine, les américains diront fièrement : NOUS SOMMES DE RETOUR

 « Nothing will stop the US Airforce… » - chantent les aviateurs américains. En effet, rien n’arrétera leurs bombardiers.. La stratégie du bombardement systématique du territoire ennemi, appliquée par les Alliés en Allemagne, va maintenant être utilisée contre le Japon. Les îles du Pacifique reconquises serviront de départ aux bombardiers géants. Dans la nuit de 9 mars 1945, 334 bombardiers B-29 volent en formation serrée vers Tokyo. Ce sera un des raids aériens les plus meurtriers de l’Histoire. Au petit matin on compte les morts : 83 000 civils tués. 83 000 morts c’est plus que l’ensemble des victimes civiles britanniques tuées par les bombardements durant toute la Deuxième Guerre mondiale !! " We’ll bomb them back to the stone ages »- ils retourneront à l’Age de Pierre – promettent les aviateurs américains en larguant les bombes incendiaries. Et les raids se répétent, les nuits, les semaines, les mois qui viennent. Tokyo, Kobé, Nagoya, Osaka, le port de Yokohama, les grands centres industriels, ne sont plus que flammes, cendres et gravats. Il n’y a plus de flotte commerciale, ni bateaux de pêche, ni voies ferrées. Les morts se comptent par centaines de milliers, les sans-abri par millions. La ration calorique des japonais se réduit à 12oo calories par jour. Le Japon, soumis à un blocus naval, est au seuil de la famine.

 Au milieu de toute cette destruction, quatre cités restent curieusement intactes. Ce sont Kokura, Hiroshima, Niigata et Nagasaki. Elles sont systématiquement évitées par l’aviation américaine,comme si elles étaient destinées pour une démonstration. Pour le moment personne ne sait laquelle…

 Trois années se sont écoulées depuis la désastreuse série  de défaites alliées. La guerre du Pacifique entre maintenant dans sa phase finale. En février 1945 les américains atteignent Iwo Jima, un petit 
enfer rocailleux perdu au milieu de l’océan , à 1000 km des côtes japonaises. La bataille sera effroyable. Plus de 5000 Marines tués. Quant aux 23 000 japonais qui défendent l’île, ils se batteront jusqu’au dern

 La bataille fait encore rage lorsque le 23 mars 1945 six soldats du  Corps des Marines réussissent à planter le drapeau américain au sommet du Mont Suribachi. Joe Rosenthal de l’Agence Associated Press est là. Il prend une photo superbe, en fait une des photos les plus célébres  de la Deuxième Guerre  mondiale. La prise du Mont Suribachi devient ainsi un autre moment-culte pour toute une génération d’américains. Quant à la légendaire photo de Joe Rosenthal, elle servira de modèle à l’énorme statue de bronze dédiée au Corps des Marines, qui se dresse près du cimetière d’Arlington.

 A peine le son du canon s’est il tu sur l’île et la lueur des lance-flammes s’est-elle éteinte que  les premiers bombardiers géants Bl-29 s’envolent déjà des pistes d’aviation construites en toute hâte. Leur but : incendier les villes japonaises.

 Les Marines, eux, continuent leur route vers la prochaine étape : l’Ile d’Okinawa, à 5oo km des còtes japonaises. Ceux qui ont combattu  à  Iwo Jima, l’ont souvent dit : ils n’ont plus peur de l’enfer, ils y ont déjä fait un tour.  Mais l’horreur d’Okinawa dépasse tout ce qu’ils  ont vu ou connu. Okinawa c’est 3 mois de boucherie désespérée, avec 120 000 morts, dont 12 mille Marines. Okinawa c’est le suicide des  officiers nippons qui préférent la mort à la défaite. Horrifiés et impuissants , les soldats américains assistent à des scènes où par dizaines, par centaines, les japonais dégoupillent leurs grenades pour se faire  sauter ou se tuent avec leurs sabres de samouraï. Mais le plus terrible à supporter à Okinawa ce sont les attaques des kamikazé. Dès le lendemain du débarquement, le 6 avril 1945, 700 avions japonais attaquent les bateaux américains au large d’Okinawa. Un avion sur deux ne dispose pas de carburant pour revenir à la base et doit se lancer contre l’objectif ennemi pour périr avec lui. Leurs pilotes sont des volontaires pour mourir et se transformer ainsi en VENT DIVIN-( en 
japonais: Kami-Kazé).  Au cours des trois mois de la bataille de l’Okinawa les américains subiront 3000 attaques suicide. A la fin, lorsqu’ils remportent la victoire, une réflexion terrible se fait surface : Continuons ainsi, de victoire en victoire, et pas un seul de nous n' en sortira vivant. Jamais, jamais 
nous ne reverrons nos familles  et nos maisons ! Car si les japonais combattent avec une telle détermination à 500 ou 1000 km de leurs côtes, combien de morts faudra-t-il pour envahir le Japon lui-même ?

 C’est cette question angoissante se qui pose à Harry Truman, lorsque le président Roosevelt meurt subitement  le 12 avril 1945. L’inexpérimenté vice-président hérite d’un problème très complexe : comment mettre fin à la guerre la plus meurtrière que l’humanité ait connue ?

C’est vrai, les bombardiers B-29 incendient à leur guise- le Japon est dévasté, affamé,épuisé. Mais il n’est pas à genoux. En Manchourie, en Corée, au Japon même, 4 millions de soldats sont debout , en armes, prêts à mourir pour leur empereur. Combien de temps, combien de morts faudrait-il pour en venir à bout ? La réponse que les experts militaires apportent au nouveau président est consternante. Si l’on prend les batailles terribles d’Iwo Jima et d’Okinawa comme base de calcul, l’invasion du Japon durera jusqu’au mois de novembre 1946 et coûtera la vie à un demi million, peut être même  à un million d’américains.

 A ce moment le dossier Manhattan, dont il n’a jamais été tenu au courant en tant que vice président, apparaît àn Harry Truman comme une lueur d’espoir. Cette arme terrible, cette bombe atomique qu’on est en train d’élaborer dans le plus grand secret depuis des années déjà à Los Alamos, dans le Nouveau Mexique, est, paraît-il, au point…Au fil  des jours, la bombe « A » paraît à Truman la panacée, la solution à tous ses problèmes. La bombe mettrait une fin immédiate à la pire guerre de l’Histoire, qui n’en finit pas de tuer, et ce avec des pertes limitées à quelque dizaines de milliers de morts, contre les millions qu’entraînerait la poursuite des combats .La bombe prendrait les russes de vitesse et les empêcherait de tenir leur promesse encombrante d’attaquer les japonais dans le dos après la fin des combats en Europe! Ainsi ils seront écartés de la scène Extrême-Orientale et n’y 
auront pas droit à une part de vainqueur!La bombe servirait même d’instrument de paix et de démocratie le lendemain de la victoire des Alliés- notamment en remodelant le système politique du Japon !!

 Certains experts militaires essayent de persuader le président que tout le problème de l’invasion est un faux problème et le spectre d’un million d’américains morts est un faux spectre. Selon ces avis, la poursuite du bombardement systématique du Japon, ainsi qu’un blocus naval suffiront pour épuiser très rapidement l’Empire du Soleil Levant.A ces  voix  optimistes, d’autres voix répondent qu’on a 
bien bombardé l’Allemagne à feu et à sang : les Alliés ont quand même dû envahir le pays, et le prendre, mètre après mètre, à la baïonette. On devrait agir de même avec les japonais, quitte à  
attteindre le prorata des pertes d’Iwo Jima et d’Okinawa.

 D’autres voix s’élèvent alors pour demander à Truman de se satisfaire d’une explosion atomique démonstrative sur une île déserte. Encore d’autres, dont le secrétaire à la défense Henry Stimson, veulent adoucir la formule impitoyable de « capitulation sans conditions » (Unconditional Surrender)-qu’on veut imposer au Japon. Ils proposent une formule plus acceptable pour ceux qui, au Japon, poussent l’Empereur Hirohito vers une « réddition honorable ».
 Tous ces conseils modérateurs sont rejetés. Dans la déclaration finale de la Conférence de Potsdam du 26 juillet 1945 est inclus un ultimatum exigeant une capitulation japonaise sans conditions. En cas de refus Truman est décidé de larguer une bombe atomique, sans avertissement, sur un objectif réel. Le gouvernement japonais ne réagit pas à l’ultimatum. Les Alliés considèrent ce silence comme un refus.


A l’aube du 6 août, un bombardier B-29, l’Enola Gay, s’envole de la base de Tinian,dans les Iles Mariannes. La bombe dans la soute est de type « Thin Boy »- Petit Gamin – en uranium. La cible est 
choisie en fonction des conditions météorologiques. Justement : le soleil brille sur Hiroshima. Une lueur, et le cœur de cette ville arrête de battre…

Le 8 août  Staline déclare la guerre au Japon et attaque la Manchourie. Le 9 août une bombe atomique  de type « Fat Man » - Gros Bonhomme – en plutonium, doit  être larguée sur la ville de Kokura. Le bombardier B-29 tourne en rond… Puis la bombe est larguée, in extrémis, sur Nagasaki… Cinq jours plus tard le Japon capitule. Et c’est le 2  septembre, sur l’USS Missouri, ancré 
dans la Baie de Tokyo et triomphalement survolé par les avions américains, que le général Mc Arthur déclarera : « these proceedings are close »… Cette histoire est finie.


Elisheva GUGGENHEIM-MOHOSH
Ce quatrième article met fin à la  série consacrée à l'attaque japonaise sur Pearl Harbor et ses conséquences. Les articles sont extraits de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et de mes articles au journal de Genève.

Pearl Harbor: D'Oahu à Okinawa. Troisième partie: des films célébrent la défaite.

(voir nos articles du 22 et du 23 novembre 2012)

Comme tous les autres secteurs de la société américaine, l’industrie cinématographique hollywoodienne se met immédiatement au service de l’effort de guerre. Dix jours seulement après Pearl Harbor, l’office de coordination entre Hollywood et Washington fonctionne à pleine vapeur. Rien qu’entre décembre 1941 et juillet 1942 72 films de guerre seront produits à Hollywood !

Tout en faisant attention de ne pas glisser systématiquement dans la propagande de haine à l’encontre de l’ennemi ou dans le « flagwaiving » - l’agitation du drapeau américain- tous les films de guerre faits entre 1941 et 1945, et même dans les années après guerre, obéissent à certains schémas obligatoires. D’abord célébrer l’unité de tous les américains, la réussite du grand « melting-pot ». Idée qui trouve son expression dans le « multi-ethnic-platoon », l’unité de combat oû les américains des origines  les plus diverses, irlandais, italiens, juifs, texans, fermiers de l’Oklahoma, fils de bonnes familles de Philadelphie, tous combattent et meurent avec la même abnégation. Autre schéma obligatoire : célébrer l’unité des 30 nations qui combattent contre les puissances de l’Axe. (Les merveilleux anglais, pas du tout impérialistes… Les merveilleux chinois, pas archaiques pour un sou… Le merveilleux Chang Kai Chek… Nos amis de Moscou…) Célébrer aussi la cohésion et l’abnégation des merveilleux américains restés au pays, surtout nos mères et nos épouses, qui payent leurs impôts sans grogner, qui s’engagent comme ouvrières dans les usines d’armement, qui achètent des bons gouvernementaux pour soutenir l’effort de guerre (les fameux War-bonds), qui apportent leurs morceaux de sucre lorsqu’elles sont invitées pour le thé...

 Mais les premiers films de guerre sont là , surtout, surtout, pour célébrer la défaite.

Mais oui. La défaite.

 Loin d’essayer de cacher au public l’étendue de l’humiliation américaine durant les cinq premiers mois de la guerre, beaucoup de films de guerre américains, et non les moindres , sont des véritables hymnes à la défaite.Dans Wake Island de John Farrow, un film de 1942, on voit toute la garnison des Marines massacrée par les japonais. Dans Air Force de Howard Hawks, (tourné en 1942, sorti en 1943), un des plus grands succès hollywoodiens de 1943, on assiste au périple de  d’une forteresse volante B-17, la Mary-Ann, incapable d’atterir sur Hickam Filed sur la base naval de Pearl Harbor qu’elle survole en pleine attaque japonais, fuyant vers l’île de Wake dans le Pacifique et de là vers Manille dans les Philippines, chaque fois surprise par l’inexorable avance de l’ennemi.

 Dans un merveilleux petit film joué uniquement par des femmes, « Cry Havoc » de Richard Thorpe, de 1943, on voit les infirmières capturées avec l’ensemble des forces américaines sur la presqu’île de Bataan aux Philippines, sortir de leur bunker les mains levées en signe de réddition.

 Les « Sacrifiés » de John Ford (1945) et « Bataan » de Tay Garnett(1943), sont des variations sur le même thème. «  Les sacrifiés » (They Were Expendable), avec John Wayne et Robert Montgomery dans les rôles  principaux (Montgomery figure au générique du début du film en tant que « Robert Montgomery, commandant dans la marine des Etats-Unis » et Ford en tant que « Capitaine John Ford… ») décrit la défaite tragique des forces américaines aux Iles Philippines et notamment la capture, pour la première fois dans l’histoire , de femmes-soldats américaines : les infirmières de Bataan…  Mais l’inscription, tenant lieu du mot FIN dans tous ces films c’est un message de courage et d’espoir ! C’est la promesse du général Douglas Mc Arthur : « Je reviendrai ». Nous reviendrons.

C’est donc la désastreuse campagne des  Philippines qui a inspiré le crédo de tous les films de guerre américains   à partir de 1942. Pourtant, peu de chefs militaires ont été aussi contestés et critiqués que 
Douglas Mc Arthur. On lui reproche aussi bien son extravagance, sa vanité, son goût immodéré pour la publicité, que ses erreurs de décision sur le plan militaire et même son comportement au combat. On lui reproche le manque de préparation des forces américaines sous son commandement aux Philippines. On lui reproche aussi le fait que durant les  mois de résistance héroique de ses hommes affamés, affaiblis, atteints par la malaria, retranchés d’abord sur la Péninsule de Bataan, puis sur l’île forteresse de Corregidor, il n’a fait qu’une seule apparition sur le champ de bataille ! Il reste encore dans la mémoire des vieux soldats les paroles de la chanson sur « Dougout Doug » - Doug la pêtoche -, "qui se tient à l’abri et mange bien, tandis que ses troupes crèvent de faim…" On lui reproche, (et  c’est injuste) d’avoir abandonné ses soldats et s’être fait évacuer en Australie, pour y prendre le commandement des forces du Pacifique Sud, et organiser la reconquête tandis que ses troupes, tombées en captivité faisaient la terrible Marche de la Mort de Bataan, un des pires épisodes de prisonniers de  guerre durant la Deuxième Guerre  mondiale.

 N’empêche qu’aux  USA Douglas Mc Arthur  est un héros. Le Lion des Philippines… L’archétype du bon américain ! En Australie, tournant vers Bataan (à plusieurs milliers de kilomètres de là) il s’écrie : « Je reviendrai » Et toute l’Amérique reprend en cœur : nous reviendrons...


Elisheva Guggenheim-Mohosh

Le prochain article de la série "Pearl Harbor" nous ménera vers les batailles du Pacifique et leur
aboutissement: "La Bombe."

Nous reviendrons dans un autre série d'articles, nommée " Le méchant japonais: stéréotypes d'avant Hiroshima" sur le message des films de guerre américains entre l'attaque sur Pearl Harbor et les bombes nucléaires largués sur le Japon en août 1945.

Voir la série" Le méchant Japonais" publiée  les 16, 17, et 18 janvier 2013

vendredi 23 novembre 2012

Pearl Harbor.D'Oahu à Okinawa: Deuxième partie: fin de l'isolationnisme.

En 1917, les Etats Unis sont entrés dans la Première Guerre Mondiale, animés par un réel esprit de sacrifice. Il fallait aider les alliés européens à vaincre les barbares du Kaiser Wilhelm, dans une guerre qui sera vraiment la dernière et qui fera place nette pour la démocratie dans le monde . La montée des fascismes, mussolinienne et hitlerienne, la dictature de Franco et  les horreurs de la Guerre d’Espagne, les échos, il est vrai, encore faibles, de la dictature stalinienne ont créé chez les américains un profond sentiment de désillusion. C’était donc inutile de saigner dans  les tranchées de la Grande guerre, inutile de mourir dans les campagnes de France. ! Rien n’arrachera l’Europe , ce vieux continent pourri, à ses démons… Retranchons -nous donc sur notre continent, dans cette Amérique rooseveltienne où règnent la démocratie et la liberté. ! Contentons-nous d’être des américains et ne nous mêlons pas des affaires du monde ! Tel est l’état d’esprit d’une grande  partie de l’opinion publique  américaine dans les années  30’.

Ainsi le sénateur Nye du Dakota, président de la commission d’enquête du sénat américain sur l’industrie d’armement entre 1934 et 1936, trouve-t-il un écho favorable dans le public lorsqu’il appelle les marchands d’armes «  des marchands de mort », l’industrie d’armement « une affaire de sale fric » et fait tout pour bloquer les crédits démandés pour le réarmement de la Navy, la modernisation de l’armée ou la fortification des postes avancées des Etats Unis dans l’océan Pacifique (tels Guam, Wake et les Philippines.).

 Au début des années 3o, l’armée américaine est la 17-ème armée du monde avec ses 120 000 hommes. Elle est pauvrement équipèe et il n’est pas rare de voir des soldats s’exercer avec des balais en guise de fusils. Quant à la Marine américaine, faute des crédits suffisants dans les années 30’ elle n’atteindra qu’en 1944 la puissance qu’aurait pu être la sienne déjà en1934 compte tenu du poids politique et économique des Etats Unis. On le voit donc, dans les années 30’ les forces armées sont l’enfant pauvre de la nation. Lorsque des voix alarmées se lèvent au  congrès pour attirer l’attention sur la « sale guerre » que mènent les japonais en Chine ou sur la pauvreté des fortifications aux Philippines, la réponse est souvent un haussement d’épaule : »Les pauvres chinois, que voulez-vous qu’on y fasse… »Ou bien : « Les  Philippines ? en tout cas ils seront indépendants en 1946, ce n’est donc pas la peine d’y investir beaucoup… » Et lorsqu’on décrit avec effroi la menace que fait peser Hitler sur l’Europe, il se trouve toujours un irlandais spirituel, tel Thomas O’Malley du Wisconsin, qui retorque : « Pourvu que cette petite île perfide, perdue au milieu  de l’Océan Atlantique, ne nous entraîne pas à nouveau dans ses guerres. » (« Petite île perfide :,  entendez par là l’Angleterre..)

 Tandis que le célébre aviateur Charles Lindbergh mène une croisade isolationniste, le sénateur Nye traque toute influence britannique pouvant entrainer l’Amérique vers une politique interventionniste sur le continent européen. Un de ses cibles favoris : Hollywood ! Hollywood qui s’est pourtant si bien tenu jusque là…

 En effet, depuis 1934 Hollywood est sous la férule de la Comission Hays, qui contrôle la moralité des scénarios, qui élimine toute scène pouvant choquer les braves gens, notamment tout baiser qui dure plus de 30 secondes, tout image d’un homme et d’une femme, même  mariés, couchés dans le même lit, les blasphèmes, les villains mots, et  toute allusion dite « politique », - Hollywood devant rester du pure « entertainment !  A la tête de la commission officie Joseph Breen, antisémite et anticommuniste notoire, pour qui la plus vague allusion dans un scénario à l’agression de Mussolini contre l’Ethiopie,ou à la persécution raciale en Allemagne est déjà une atteinte intolérable à la neutralité qui doit caractériser le cinéma américain. Cet état d’esprit dure jusqu’à 1940 et il faudra un courage infini à un réalisateur comme Anatole Litvak ou à des acteurs comme Edward G. Robinson pour faire un film comme « Confessions d’un espion nazi », sorti en 1939, premier film hollywoodien ouvertement interventionniste, qui décrie le nazisme comme une menace directe pour la démocratie américaine.

 Cependant il serait faux de confondre isolationnisme avec pacifisme et encore moins avec sympathie pour les dictatures fascistes ! Simplement, la plupart des isolationnistes, c’est à dire la grande majorité des américains, considèrent que l’effort militaire américain doit être entièrement consacré à la défense des Etats Unis, contrairement aux interventionnistes, qui veulent défendre le pays en portant la guerre en terre étrangère, sur le théâtre des opérations de l’Europe. Et c’est là qu' interventionnistes et isolationnistes se réjoignent dans l’erreur ! Les uns veulent intervenir contre l’Allemagne, les autres veulent rester neutres vis à vis de l’Allemagne…Le Japon ? Personne n’y pense. On y prête très peu d’attention dans les années 30’. Ces petits hommes jaunes, dans leurs îles pauvres et surpeuplées, n’interressent personne, n’effrayent personne, sinon les quelques amis dévoués de la Chine…

Or c’était une très grave erreur que d’ignorer  l’évolution de la mentalité japonaise dans les années 30’, de faire abstrction de la détermination, la force, la volonté farouche de modernisation qui animait ce pays.

Il existe une différence profonde et très significative dans la manière dont les japonais et les américains voient les eaux qui les entourent. Les américains se sentent sécurisés par leurs océans. Ils attribuent à la mer une sorte de puissance protectrice intrensèque, presque magique…Par contre les japonais, en contemplant leurs cartes ont un sentiment de claustrophobie étouffante. Réduits à leurs seules îles, ils ne sont que des pauvres pêcheurs de poisson.Briser l’éteau de l’océan, marcher vers le sud, vers les riches colonies européennes du Sud-Est asiatique, là ou se trouve l’étain, le caoutchouk, le carburant si nécessaire pour leurs navires : tel est le rêve des  japonais. D’autant plus que la décennie de guerre  en Chine s’est avérée non- payante : la Chine avec ses espaces infinis et ses ressources humaines inépuisables était un morceau trop grand à avaler.

 Non que la caste militaire au pouvoir au Japon entende renoncer à ses conquêtes en Chine ! Au contraire ! Variante japonaise des fascismes européens, le mouvement Zaibatsu prône l’expansionnisme  à l’outrance pour assurer à la patrie japonaise, pauvre et surpeuplée, les matières premières nécessaires pour son industrialisation. Son but est de créer un sphère de coprospérité des peuples de l’Extrême-Orient, sphère ou les puissances coloniales Occidentales – anglaise, hollandaise, française ou américaine- n’auront strictement rien à faire. L’Orient est aux orientaux, et les japonais, fils du ciel, doivent y régner en maîtres absolus!

.En 1940 le Japon se joint aux puissances de l’Axe et en vertu d’un accord avec le gouvernement de Vichy, occupe une partie  de l’Indochine. Les cercles militaires japonais ne se satisfont plus de l’Asie du Sud-Est. Leurs yeux sont tournés vers l’Océanie.

 Les relations avec les Etats Unis s’envéniment. Le président Roosevelt n’est pas du tout disposé à considérer la Chine comme un protectorat japonais incontesté. L’Amérique impose un embargo sur la livraison des matières premières au Japon aussi longtemps que ce pays n’aura pas renoncé à toute conquête territoriale ultérieure à 1931. Pour le Japon ceci est inconcevable. Tout en continuant les négociations à Washington, l’Etat Major japonais élabore un immense plan d’attaque d’un périmètre comprenant la Birmanie, la Malaisie, le Thailand, les Philippines et l’infinie étendue de l’Océan Pacifique des Iles Caroline aux Iles Hawai.

 Dès le refus net de Roosevelt de reconnaître les conquêtes territoriales japonaises et de lever l’embargo sur les livraisons de pétrole, donc dès le 26 novembre 41, la menace de guerre est imminente. Il est donc d’ autant plus incompréhensible que les postes américains dans le Pacifique  n’aient pas été mis en en état d’alerte ! Le discours extrémement agressif du Premier ministre japonais Tojo le 30 novembre laisse peu d’illusions. La surprise d’Oahu, le choc subi par les américains ne s’explique donc pas simplement par l’ignorance complète des intentions japonaises ! Même les commandants de la base navale de Pearl Harbor s’attendaient à une attaque japonaise quelque part dans l’Océan Pacifique. Mais pas à Hawai. A Guam oui. Sur l’Ile de Wake  peut être. Mais pas chez eux. Pas à Pearl Harbor. Pas si loin…

 D’ailleurs les japonais  entendent se conformer aux usages internationaux  en matière d’agression…Ils entendent délivrer une déclaration de guerre en bonne et due forme au secrétaire d’Etat Hull, à 13 heures, le 7 décembre, heure de Washington.. Mais le texte reçu de Tokyo est trop long et difficile à décoder, puis Hull les fait attendre dans l’antichambre, ce qui fait que lorsque la déclaration de guerre est délivrée, la base  de Pearl Harbor brûle déjà… Hull écoute les envoyés japonais le visage cramoisi de colère et s’écrie : «  En 50 ans de service diplomatique je n’ai jamais entendu un texte aussi infâme,une telle accumulation de mensonges ! Partez, sortez menteurs infâmes ! » Les pauvres diplomates nippons sortent, blêmes et sans comprendre la raison de ce flot d’insultes. Ils n’ont pas encore été  informés de l’attaque, ils  n’y peuvent rien. Mais le mot est lâché : « coup de poignard dans le dos », « agression militaire sans avertissement alors qu’on est encore en train de négocier », « infamie »..

Pearl Harbor… Infamie… Les deux mots resteront à jamais associés.

 On  ne répétera jamais assez : Pearl Harbor était certes un succès tactique japonais très brillant mais un succès stratégique assez limité, et une erreur politique colossale ! Il est vrai qu’à court terme le dommage infligé était considérable. Mais les quatre porte-avions américains étaient tous loin de la base de Pearl Harbor le jour de l’attaque. L’aéronavale restait donc relativement intacte  et les avions japonais n’ont pas atteint les énormes stocks de carburant déposés sur  l’île d’Oahu.Ainsi ils n’ont pas infligé aux forces américains dans le Pacifique un dommage irréparable, ce qu’ils étaient parfaitement en mesure de   faire.Mais ce qui est important, c’est qu’en quelques heures, des décennies d’isolationnisme américain ont été balayées. Le lendemain de l’attaque, l’Amérique toute entère est unie derrière le président Roosevelt, déterminée, quel que soit le coût, de mettre les japonais à genoux. Et on sait que la route sera longue. Les premiers mois de la guerre ne sont qu’une suite ininterrompue de victoires japonaises. Les Iles Gilbert et l’Ile de Guam dans les Mariannes tombent le 9 décembre. Les Marines sur l’Ile de Wake tiennent deux semaines. Leur résistance éléctrifie l’Amérique. « Marines  keep Wake » - nos Marines tiennent bon – titrent les journaux américains. Wake c’est l’Alamo. Puis Wake tombe elle aussi le 23 décembre 1941.

Pour celui qui lit les journaux de cette fin 1941, le rythme des évènements est vraiment étourdissant.

Le 8 décembre le Japon déclare la guerre à l’Angleterre, au Canada et à l’Australie, et, pour faire bonne mesure, déclare à nouveau la guerre aux Etats Unis.
Le 10 les japonais coulent le Prince de Galles et le Repulse, les deux fiertés de la Marine de Guerre britannique. La Malaisie et Singapore sont maintenant tout à fait vulnérables.

 Le 11, l’Allemagne et l’Italie déclarent la guerre aux Etats Unis. Le 12 et le 13 la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie déclarent la guerre aux Etats Unis. Les japonais envahissent la Birmanie.

 Le 19 les japonais débarquent à Hong Kong, Hong Kong qui tombera 6 jours plus tard,le jour de Noél. Le 22, les japonais débarquent aux Philippines. Le martyr de Bataan commence.

1942 : le saga des victoires japonaises continue. Le 2 janvier Manille tombe. Le 10 l’Indonésie est envahie. Le 25 janvier débaquement en Nouvelle Guinée : les japonais menacent maintenant le Nord de l’Australie. Le 8 février les américains abandonnent Guadalcanal. Le 15 Singapore capitule, le 28 débarquement japonais sur l’Ile de Java.

 Le 8 mars Rangoon tombe, le 28 c’en est la fin des forces hollandaises en Indonésie. Près de 100  000 soldats hollandais sont faits  prisonniers. Puis vient la pire humiliation de l’histoire militaire des Etats Unis : la capitulation des forces américaines aux Philippines. Plus de 100  000 hommes et  femmes lèvent les mains en signe de réddition. Néanmoins c’est cette défaite, plus que les autres, qui deviendra plus tard le symbole même de la victoire...


Elisheva Guggenheim-Mohosh.
Prochain article de la série Pearl Harbor: des films célébrent la défaite.

jeudi 22 novembre 2012

Pearl Harbor.D'Oahu à Okinawa. Première partie: Moonlight Serenade...

(Cet article est le premier d'une série de quatre récits consacrés à la longue route qui a mené de
Pearl Harbor à la bombe sur Hiroshima.Les textes sont  des extraits tirés de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et de mes articles au Journal de Genève.)


Le soir du 6 décembre 1941,alors que sur l’île d’Oahu quelques couples dansent encore  au rythme de la jolie Moonlight Serenade de Glenn Miller, une armada de six porte-avions entourés d’autres bâtiments de guerre, s’approche silencieusement des iles Hawai. Ce détachement de la Marine Impériale, placé sous le commandement du vice amiral Nagumo, est parti de ses bases dans les îles Kouriles dix jours auparavant. Et c’est durant  dix jours, tout le long des 7000 km qui séparent les Iles Japonaises des Iles Hawai qu’il avance sans être découvert, protégé par le brouillard et un silence radio complet… Vers six heures du matin la flotte japonaise s’immobilise à 22o miles d’Oahu.

La base de Pearl Harbor dort d’un sommeil paisible… C’est un dimanche matin comme les autres…Plus tard, les américains répéteront inlassablement et avec beaucoup d’amertume : » A L’AUBE NOUS DORMIONS… » (At dawn we slept..*.)

Pendant que Pearl Harbor sommeille, les moteurs des bombardiers japonais se mettent à tourner. 350 avions s’envolent vers Oahu en deux vagues successives.La première vague atteint Pearl Harbor à 7 heures  50 et en quelques minutes c’est l’enfer. Toute la base navale brûle.. L’Arizona, une des fiertés de la Flotte du Pacifique, est atteint de plein fouet par les bombes- torpilles et sera perdu à jamais. L’Oklahoma,  le West Virginia et le California coulent, le Maryland, le Tennessee, le Nevada et le Pennsylvania sont couverts d’une épaisse fumée et donnent une vision d’Apocalypse. Les bases aériennes de Hickham, Wheeler, Ewa et Kaneohe sont attaquées elles aussi et près de 2oo avions sont détruits au sol.

Les sirènes retentissent sur toute l’île. Et la première vague d’attaque aérienne à peine terminée qu’à 8 heures 40 arrive la deuxième vague meurtrière.

Deux heures plus tard tout est fini. Les avions japonais , ayant subi des pertes minimes  se posent à nouveau sur les porte-avions d’où ils sont venus. La Flotte Pacifique de l’Amiral Kimmel n’existe pratiquement plus. Sur l’Île d’Oahu gisent 2500 morts.

L’attaque japonaise sur Pearl Harbor a soulevé et continue toujours de soulever un flot  d’interrogations. Comment…Comment cela a-t-il pu arriver ?Comment l’Amérique a-t-elle pu se laisser surprendre ainsi ? Comment une si grande flotte japonaise a-t-elle pu s’approcher de Hawai sans être découverte ? Comment les avions japonais ont-ils pu échapper à la surveillance des radars et, une fois détéctés, comment pouvait-on  les confondre avec une escadrille de bombardiers B-17 rentrant à la base après un vol d’entraînement ? Comment se fait-il que les avions américains sur les bases aériens d’Oahu étaient à découvert, hors de leurs hangars, des cibles si faciles  pour  l’aviation ennemie ?

Plutôt que de nous étendre sur  des théories, pourtant à la mode dans certains cercles d’historiens, selon lesquelles il y avait une conspiration de silence entre le président Roosevelt  et son entourage, qui auraient sciemment permis à l’attaque de se perpétrer pour provoquer l’entrée des Etats Unis dans la guerre, nous essayerons dégager quelques unes  des causes  profondes de ce manque de préparation américaine  en face d’une attaque pas tout à fait imprévisible. Il faut nous demander quel était l’état d’esprit qui a rendu possible une telle attaque surprise.

C’est ce que fait d’ailleurs, avec une honnéteté étonnante, la presse américaine le lendemain du choc. Tous les éditorialistes se demandent : Pourquoi …Pourquoi cela nous est arrivé à nous, américains ? Ou`avons-nous fauté ? Qui sommes nous, que sommes nous en tant que collectivité, en tant que peuple ?

C’est la brillante Dorothy Thomson du New York Post qui donne le ton : »Je vous dirai qui est est responsable pour l’infamie de Pearl Harbor. C’est nous. Oui, c’est nous tous….Pour une génération entière d’Américains l’idée consistait d’obtenir le maximum avec un minimum d’effort.Pour toute ma génération, le modèle de comportement c’était le laisser-aller. Oui, je nous accuse. J’accuse l’Amérique. Je m’accuse moi. « 

 Henry Luce, patron de Life, s’écrie : »  Pearl Harbor c’est la punition divine pour la mauvaise vie qu’a menée l’Amérique toutes ces années… »Walter Lippmann déclare : « Ce qui est arrivé à Pearl Harbor c’est le modèle réduit de notre comportement et de nos attitudes  depuis la dernière guerre. Fausse sécurité, illusions et échec moral : voilà ce qui nous caractérise. »

 Et si ce torrent d’autoaccusations fera place très rapidement à d’autres sentiments, de fierté nationale et de combativité, d’unité et de détérmination, il n’en est pas moins vrai que Pearl Harbor reste une des blessures  profondes de l’Histoire américaine. En fait, une blessure que l’étendue des dégats ne justifie pas à elle seule, surtout pas dans une perspective historique. Rien que sur la minuscule île de Iwo Jima les américains auront perdu 5000 Marines en 1945… Des bâtiments de guerre touchés à Pearl Harbor seul l’Arizona sera irrémédiablement perdu, les  autres seront renfloués et, la plupart, tant bien que mal réparés.Au regard des horribles pertes subies de chaque côté dans la Deuxième Guerre mondiale, Pearl Harbor, osons le dire, c’est peu de chose.

Qu’est-ce qui fait donc du matin de 7 décembre un moment-culte dans la conscience collective américaine, un thème permanent de la littérature et du cinéma, un moment par rapport auquel chaque américain vivant à cette époque saura se situer des années, des décennies après ?

C’est que Pearl Harbor n’est qu’un lieu symbole.

 Dans les heures et les jours suivants, les japonais attaquent, dans un périmètre immense, la Malaisie, les îles Phillipines, l’Île de Wake, l’Ile de Guam. Ce déférlement japonais sur l’Asie et l’Océanie fait irruption dans un rêve tranquille : le rêve d’une Amérique isolationniste, bercée par ses Océans…

Fin de la premère partie. Prochain article de la série Pearl Harbor: la fin de l'isolationnisme.


Elisheva  Guggenheim-Mohosh.

*At Dawn we slept: titre empreunté à Gordon W. Prange.

mardi 13 novembre 2012

Hongroiseries:Michael Curtiz. Deuxième partie: le mystère de Casablanca.


C'est durant la Deuxième Guerre mondiale que Michael Curtiz aura les succès les plus paradoxaux de sa carrière. En soi, il n'est pas étonnant de le voir réaliser des films d'un patriotisme débordant. Après tout, dans les années suivant Pearl Harbor, tout le monde faisait des "flagwavers".(des film"agitant le drapeau américain"...) On peut encore comprendre " Mission to Moscow", tourné en 1943, en pleine lune de miel russo-américaine. Un film tellement prosoviétique  qu'il attirera plus tard à la Warner toutes les foudres du Maccarthysme. "Casablanca", (1942)  tourné avec les Hongrois Peter Lorre et S.Z.Sakall, l'Allemand  Conrad Veidt, l'Autrichien Paul Henreid, le Français Marcel Dalio, le Britannique Claude Rains et la Suédoise Ingrid Bergman n'est pas tout à fait un fim américain...Plus étonnant est le fait qu'on ait confié à Curtiz la réalisation de la comédie musicale d'Irving Berlin, "This is the Army". Curtiz, dont la rage patriotique ne connaît plus de limites, y fait défiler la moitié de l'armée américaine derrière la vedette, Ronald Reagan.

Quant à l'idée de confier à Curtiz, le plus hongrois de tous les Hongrois de Hollywood, la biographie filmée du compositeur George Cohan (compositeur de la chanson "Over there", hymne des soldats américains partant vers l'Europe  en 1917) elle est tout simplement ahurissante! Cohan, symbole du patriotisme américain bon teint, "made in Ireland" et son personnage sacro-saint, "Yankee Doodle Dandy",( celui qui est né un 4 juillet).. .Ne pouvait-on les confier à un "vrai" yankee? Toujours est-il que c'est Michael Curtiz qui réalisera "Yankee Doodle", pour la plus grande gloire de sa vedette, James Cagney, qui obtiendra, grâce à ce rôle, l'Oscar de la meilleure interprétation masculine en 1942.

Lorsqu'on se référe aux témoignages de l'époque, le mystère qui entoure le succès jamais démenti de "Casablanca" ne fait que s'épaissir. Otto Friedrich, dans son livre "City of Nets",( portrait fascinant de Hollywood dans les années quarante, publié chez Headline Books, à Londres, en 1987) raconte des choses ahurissantes sur le tournage.

Quelque part dans la brousse hollywoodienne quelqu'un trouve une pièce dont personne ne veut: "Everybody Comes to Rick".La Warner l'achète et les problèmes commencent. On demande aux jumeaux Epstein, Philip et Julius, d'écrire le scénario, puis, avant qu'une seule ligne ne soit écrite, on recrute les acteurs. Tout le monde demande des sommes faramineuses et tous les petits rôles (aujourd'hui célébres, mais qui le savait à l'époque?) sont payés plus cher que l'héroine, Ingrid Bergman.

A peine l'équipe est constituée que les scénaristes partent. Les Epstein sont appelés à Washington pour faire le projet de "Pourquoi nous combattons", la grande série de propagande dirigée par Frank Capra.On trouve un nouveau scénariste, Howard Koch, garçon très doué, qui ne sait pas ce qu'il veut. Curtiz,conscient des frais d'immobilisation de l'équipe, commence à tourner sur un scénario à moitié fini.

A ce moment, tout le monde est déjà un peu dingue...Humphrey Bogart est énérvé à mort parce que sa femme, Mayo, une vraie furie, menace de le tuer. La raison? Ingrid Bergman que Bogart, effrayé   par sa tendre moitié, ose à peine regarder. Ingrid Bergman est malheureuse, parce qu'elle ne comprend rien au scénario. Elle ne comprend notamment pas de qui, selon les intentions de l'auteur, elle est censée être amoureuse.... De Victor Laszlo, joué par Paul Henreid ou de Rick, interprété par Humphrey Bogart? Avec lequel partira-t-elle à la fin du film? Elle décide de le demander à Michael Curtiz. "Aucune idée" - répond Curtiz. "Mais quand même"- insiste Bergman- "comment dois-je interpréter les scénes d'amour avec Paul Henreid et Humphrey Bogart?" - "Entre les deux"- répond  Curtiz, toujours aussi aimable...

Le tournage  continue. Les Epstein sont rappelés de Washington pour faire avancer le scénario. Personne ne comprend plus rien. Tout le monde a des feuillets de texte que les autres ne possédent pas. Tout le monde vient vers Curtiz pour dire "Michael, ça ne tient pas debout. Cette histoire n'a ni queue ni tête". - "Cela ne fait rien"- répond Curtiz - "je tournerai tellement vite que personne ne s'en apercevra..."

Finalement c'est l'extrême confusion de tous, acteurs, scénaristes, techniciens, qui fera de "Casablanca" un chef d'oeuvre. Ce qui était vague, ennuyeux ou énérvant sur le plateau deviendra mystérieux, intense et superbement ironique sur l'écran. Même Dooley Wilson, qui joue le pianiste Sam, et qui ne savait ni chanter, ni jouer du piano, deviendra immortel grâce à la chanson du film "As Time Goes By". Casablanca emportera, en 1943, trois Oscars: celui du meilleur film, celui du
meilleur scénario et  celui de la meilleure mise en scéne pour Michael Curtiz.

Elisheva Guggenheim Mohosh

Ce texte est extrait de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et mes articles au Journal de Genève.

Prochains billets dès la fin de novembre: une série de quatre récits "Pearl Harbor, d'Oahu à Okinawa".
voir aussi mon autre blog,Les commérages historiques d'Elisheva Guggenheim,
www.commérageshistoriques.blogspot.ch

lundi 12 novembre 2012

Hongroiseries: Michael Curtiz. Première partie: un caractériel sublime...

Tandis qu'Alexander Korda brille à Londres (voir nos articles du 20 et 21 octobre 2012), à Hollywood une autre carrière miraculeuse est en train de se construire. Contrairement à Alex Korda, qui parle l'anglais avec l'accent de la Puszta, mais correctement, Mihàly Kertész, alias Michael Curtiz dirigera les plus grands noms de Hollywood durant plus de trente ans, sans jamais prononcer une seule phrase sans faute.

L'homme qui a une des plus belles filmographies du Septième Art peut aussi se prévaloir d'une longue liste de calembours répértoriés. Une de ses "perles" servira de titre aux mémoires de David Niven.Le comédien anglais tournait en 1936 "La charge de la brigade légère" sous la direction de Curtiz, avec Errol Flynn dans le rôle principal. On filmait la scène où une centaine de chevaux paniqués et sans cavaliers devait traverser l'écran. Frappant avec son fouet sur ses éternelles bottes de  la cavalerie austro-hongroise, Kertèsz-Curtiz hurla: "All right! Bring on the empty horses" (Envoyez-moi les chevaux vides!)

David Niven, Errol Flynn et les autres acteurs étaient pliés de rire. C'était sans compter avec la sensibilité hongroise. Curtiz a réagi aux rires avec un torrent d'insultes, qui figurent, elles-aussi, dans les annales de Hollywood et dont "fils de pute" était le terme le plus délicat. "You and your stinking language.." "Vous et votre saleté de langue..." a-t-il conclu, avant de reprendre la scène...

Cet incident tragi-comique résume, à lui-seul, tout le paradoxe Michael Curtiz. A l'époque des faits, en 1936, Curtiz a derrière lui un quart de siècle de carrière brillantissime. Ancien assistant de Mauritz Stiller et de Victor Sjöström, il est célébre autant à Budapest, qu'à Vienne ou à Berlin. Ses films de la période muette, tels "Moon of Israel" (L'esclave reine) tourné à Vienne en 1925, peuvent soutenir la  comparaison avec n'importe quelle superproduction hollywoodienne de l'époque. Rien que depuis son arrivée à Hollywood en 1926, il a tourné plus de trente films, tels "Masques de cire" et "Captain Blood". Quant à sa filmographie après 1936, elle est tout simplement époustouflante. En parcourant la liste des films dont il a été le réalisateur, on est pris de vertige: un classique y succède à un autre.

Michael Curtiz a certainement "fait" la carrière d'Errol Flynn, Olivia de Havilland et Bette Davis. Il a certainement contribué à la carrière d'autres, tels Humphrey Bogart, James Cagney ou Doris Day. Il a dirigé Gary Cooper, Edward G, Robinson, Joan Crawford, Ingrid Bergman et...Elvis Presley. Et pourtant ce géant, ce réalisateur fétiche de la Warner Bros., peut encore être victime de plaisanteries à cause de son anglais approximatif, fortement teinté de hongrois. Ses comédiens se moquent de lui, le craignent et le détestent. Quant à lui, il les hait et il les insulte.

Mais au delà des insultes, des moqueries et des ressentiments, ses acteurs lui restent attachés, fidèles et, somme toute, reconnaissants. Curtiz, de son côté, est farouchement loyal et, tout en gratifiant ses acteurs de son mépris, ils les met en valeur comme il peut.

Lorsque Bette Davis fut jeune actrice, en 1932, Darryl Zanuck l'imposa à Michael Curtiz dans un film. Curtiz était furieux... Il marchait en long et en large sur le plateau, répétant à qui voulait l'entendre: "Putain de mauvaise actrice! C'est une putain de mauvaise actrice!" Et il guignait méchamment pour voir si elle entendait, si elle pleurait et si elle partait...

Bette Davis entendait parfois, pleurait peut-être mais ne partait certainement pas. Dans sa carrière elle a tourné six films avec Michael Curtiz. Il continuait, avec de moins en moins de conviction, de la traiter de "mauvaise actrice", tout en l'imposant, en 1939, face à Errol Flynn, dans " La vie privée d'Elizabeth d'Angleterre" (The Private Lives of Elizabeth and Essex) comme la meilleure actrice de sa génération.

Fin de la première partie. Le prochain article sera " Hongroiseries: Michael Curtiz.. Deuxième partie: Casablanca." Ces deux articles sont extraits de mes émissions à la Radio Suisse Romande Espace2 et de mes articles au Journal de Genève.

Elisheva Guggenheim-Mohosh. Voir aussi mon autre blog, Les Commérages historiques d'Elisheva Guggenheim, www.commerageshistoriques.ch

lundi 8 octobre 2012

Full Metal Jacket et Barry Lyndon: Kubrick, d'une violence à l'autre....

Si vous aimez Stanley Kubrick comme je l’aime, je crois que vous reverrez  volontiers deux scènes mythiques de deux de ses chefs-d’oeuvre : Barry Lyndon, sorti sur  les écrans en 1975 et Full Metal Jacket, terminé après 7 ans de réflexion, en 1987. Si vous ne possédez pas ces deux  films dans votre vidéothèque, visionnez- les sur You Tube :Sniper Feat, pour Full Metal Jacket et The March Before the Charge pour Barry Lyndon. Et comparez-les.

Full Metal Jacket est basé sur le récit « The Short Timers » de Gustav Hasford (paru en  français sous le titre « Le Merdier » chez Stock, en 1985). Le livre a été adapté pour l’écran par 3 personnes : G. Hasford, Michael Herr,, auteur des magnifiques « Dispatches » : reportages de la Guerre du Vietnam,( paru en français sous le titre « Putain de Mort », chez Albin Michel, en 1980) et Stanley Kubrick lui-même. ( vous êtes- vous rendu compte du fait que chaque livre ou film ayant pour sujet la Guerre du Vietnam inclut dans son titre français les mots « putain » ou « merde » ? Pourtant le titre « The Short Timers » veut bien dire : ceux qui font un tour de service au Vietnam d’exactement 395 jours. Sauf s’ils sont morts ou mutilés avant…La même erreur a été commise pour « Go Tell the Spartans » de Ted Post, faisant allusion à la Bataille des Thermopyles, en 480 avant notre ère, rebaptisé, en toute simplicité, « Le Merdier »…)

La dernière partie de Full Metal Jacket  met en scène l’Offensive du Têt en février 1968, ,moment  où les américains ont repris la ville de Hué des mains du Vietcong. Kubrick a tourné les scènes de bataille, d’une violence effrayante,dans une usine à gas  abandonnée, dans la banlieue de Londres, avec, notamment, Adam Baldwin dans le rôle de « Animal Mother », Matthew Modine dans le rôle de « Joker », Dorian Harewood dans le rôle du caporal « Eightballs » et John Stafford dans le rôle de l’héroïque « Doc Jay ».La scène à laquelle nous faisons allusion est celle où la compagnie fait face aux tirs d’un sniper, qui ne cesse ses tirs malgré toute la puissance de feu des marines. On n’arrive pas à le localiser, on doit envoyer un soldat pour le débusquer. Et là commence l’horreur. Le sniper est pervers. « Il » (mais nous verrons que cet « Il » n’est qu’une adolescente vietnamienne…) tire avec délectation et avec une précision  terrifiante d’abord dans les parties génitales des soldats américains : aussi bien celles du  caporal Eightballs que celles du  pauvre infirmier  Doc Jay qui s’est précipité à son secours. Le « sang » gicle des sachets de peinture rouge dissimulés sur le corps de Dorian Harewood et de John Stafford, les acteurs hurlent leur « douleur », les spectateurs sont glacés d’horreur. La scène a toujours été qualifiée de " cathartique" . Une scène qui libère aussi bien les acteurs que le public « par la pitié et par la peur », selon les principes de l’ancienne tragédie grecque. Adam Baldwin, en particulier ,  « s’éclate » en hurlant, courant et tirant avec sa mitraillette les plus spéctaculaires  rafales de l’histoire des films de guerre….La haine, la peur, la douleur : rien n’est suggéré. Tout est explicite.

L’autre scène, peut- être non moins violente si on y réfléchit bien, est la scène de guerre tirée du merveilleux Barry Lyndon de Stanley Kubrick. L’action du film ( adaptée du roman satirique de l’écrivain anglais William Makepeace Thackeray , « Les mémoires de Barry Lyndon », paru en 1843) se déroule durant  et après la Guerre de Sept Ans, guerre qui, entre 1756 et 1763  a mobilisé la quasi-totalité des puissances européennes et leurs colonies, préfigurant  ainsi la boucherie pan-européenne de la Première Guerre Mondiale…Dans un cadre idyllique  baigné de la lumière que reflètent les filtres spéciaux des caméras de Stanley
Kubrick, au son des fifres et des tambours ( la jolie marche des British Grenadiers), l’aventurier irlandais qui ne s’appelle encore que Redmond Barry (Ryan O’Neal),avance, avec ses camarades, le fusil  pointé vers l’ennemi . Anglais contre français. Les anglais marchent au pas, en silence. Les français les attendent en silence. L’officier français donne l’ordre de tirer. les armes des soldats français crépitent. Des rangées entières de soldats britanniques tombent . Les autres continuent d’avancer en silence. Marcher et tomber. Sans un mot…Sans un  cri. .. On marche, on meurt : la
musique continue.

Le contraste entre les deux scènes est saisissant  Dans la scène extraite de Barry Lyndon la  violence est là, la mort présente à chaque note de la belle musique. La révolte des spectateurs est là aussi devant le sacrifice de cette chair à canon, de ces soldats du 18-ème siècle qui n’étaient pas, eux, des « short-timers », mais des hommes engagés ou  appelés à servir dans les rangs des armées européennes durant des années ou durant des décennies….La dénonciation de la Guerre est peut- être plus forte dans  cette scène de Barry Lyndon, cette scène sans une goutte de sang, qu’elle ne l’est dans Full Metal Jacket.


 Elisheva Guggenheim-Mohosh.

Voir aussi mon autre blog, Les Commérages historiques d’Elisheva Guggenheim, www.commerageshistoriques.blogspot.ch. Prochains commérages : trois réflexions sur la supposée virginité et le refus de se marier de la reine Elizabeth I,